Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trempaient des piliers de feu ? Je n’étais séparée d’elle que par l’étroit jardin recouvert d’un linceul blanc. Toute idée de terre s’effaçait ; j’avais l’impression de planer au-dessus de ces flots argentés, aussi librement que le faisaient au matin les mouettes dont le tourbillon apparaissait avec le premier rayon de l’aube.

Ces effets de l’atmosphère et des saisons restent inséparables dans ma mémoire d’une délicieuse hospitalité qui leur emprunte un caractère de fête, et quand on me dit que Boston n’est après tout qu’une ville de 500 000 âmes, simple capitale du Massachusetts, j’ai quelque peine à le croire, vu les royales fantasmagories de la Charles River. Ceux qui aiment les contrastes ne peuvent mieux faire que d’aborder Boston après Chicago, sans transition. Ils respireront soudain l’atmosphère du passé.

En parcourant la partie ancienne de la ville, tortueuse, irrégulière, on se croirait dans une vieille cité anglaise : l’enchevêtrement des fils de fer, télégraphe et téléphone, visibles tout le long des rues, lui donne seul un aspect particulier. Les quartiers tels que Commonwealth avenue ou Beacon Street, sont de larges voies bordées de résidences dont aucun ornement tapageur ne dépare l’imposante régularité architecturale. On y accède par un porche précédé d’un perron ; sur presque toutes les façades de granit ou de grès, s’étend la délicate tapisserie d’une plante grimpante japonaise, connue sous le nom de lierre de Boston ; son feuillage rougissant, qui devient en automne couleur de corail, est une fête pour les yeux. Derrière les vitres se manifeste un luxe de fleurs qui révèle l’élégance de ces salons où certainement on cause mieux et moins haut que partout ailleurs en Amérique. Après avoir été jadis la ville la plus importante des États-Unis, — et avec Philadelphie celle qui prit la part la plus éclatante à la Révolution, — Boston affecte aujourd’hui un caractère quelque peu provincial, mais ce provincialisme, qui lui est reproché par ceux qui vivent en dehors de ses coteries mondaines et littéraires, est lui-même un charme. Les Bostoniens ont fait de leur ville comme le reliquaire des grands souvenirs d’un pays dont l’histoire est encore assez courte. Ils vivent les yeux fixés sur le dôme doré du vieux State house (hôtel des États), qui renferme tant de trophées d’honneur ; sur l’ancien cimetière où dorment des citoyens tels que Samuel Adams, John Hancock, etc. ; sur le monument de Bunker-hill qui marque l’endroit où les régimens anglais furent tenus en échec par des novices, qui de l’art de la guerre ignoraient tout, sauf qu’il fallait attendre de pied ferme et ajuster à bout portant. Ils s’enorgueillissent de Faneuil Hall, ce berceau de la liberté américaine. Le mot de