Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/962

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce cas, le règlement des questions soulevées serait si difficile que personne n’est certainement allé de gaité de cœur au-devant de pareilles complications. L’Angleterre, la Russie, la France, avaient un désir égal de voir la paix maintenue, et elles ont fait leur possible pour cela. Malheureusement, les prétentions et l’humeur belliqueuse du Japon ont été plus fortes et ont déterminé le conflit. Le Japon croit sa puissance militaire supérieure à celle de la Chine, et probablement il n’a pas tort, s’il s’agit de l’offensive ; mais la Chine a des ressources indéfinies pour la défensive, et, à moins que le Japon puisse débarquer sur un point du Petchili des troupes assez nombreuses et assez solides pour marcher sur Pékin et y frapper un coup décisif, la guerre peut se prolonger très longtemps sans amener de résultat. Les succès partiels des Japonais flatteront leur amour-propre, et resteront stériles. La Chine, nous l’avons éprouvé, est le pays qui peut le plus facilement recevoir des coups sans les sentir. Ses ressources en hommes sont inépuisables, et, bien que ces hommes soient généralement de médiocres soldats, leur nombre et la rapidité avec laquelle ils se renouvellent en font des adversaires très incommodes : avec eux rien ne finit jamais.

Il n’est pas douteux que les Japonais représentent la civilisation en Extrême-Orient, et particulièrement en Corée, où la Chine représente au contraire l’immobilité. À ce titre, leur cause est digne de sympathies. L’état social et politique de la Corée appelle incontestablement des réformes profondes. Tout, dans ce malheureux pays, appartient aux mandarins et aux nobles, qui exploitent et pillent le peuple sans merci ni pitié. La classe privilégiée se compose de ceux qui occupent des fonctions publiques, de ceux qui en ont occupé, et enfin de ceux qui ont obtenu les grades littéraires qui leur permettent d’en occuper. Ces derniers ne travaillent pas ; ils se déshonoreraient s’ils le faisaient ; ils attendent des fonctions qui ne sauraient leur manquer un jour ou l’autre, car les fonctionnaires, en Corée, ne restent en place que trois ans tout au plus. Pendant ce temps, ils assurent leur existence à venir. Entre les gradés et eux s’établit un roulement continuel. Du reste les gradés, sans même être revêtus de fonctions publiques, ont droit de haute et de basse justice sur le peuple ; ils arrêtent qui ils veulent, ils font des perquisitions pour reconnaître la fortune de l’habitant, ils prélèvent des dîmes arbitrairement et ils ne sont justiciables d’aucun tribunal. Peut-on reprocher au Japon de vouloir modifier cet état de choses ? Si on lui dit que cela est fâcheux sans doute, mais que cela ne le regarde pas, il répond qu’après avoir depuis quelques années développé considérablement son commerce avec la Corée, ses intérêts se confondent dans bien des cas avec ceux de ce pays. Les Japonais se plaignent de ne pas pouvoir obtenir justice, de ne pas pouvoir se faire payer par les mandarins et les nobles, enfin de