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meilleure justification de la loi nouvelle, qui le dépossède dans un certain nombre de cas pour saisir la juridiction correctionnelle. Pendant qu’on la discutait, ses adversaires ne cessaient pas de répéter : « Pourquoi remplacer le jury ? Est-ce qu’il ne s’est pas montré constamment énergique ? Est-ce qu’il a démérité de la confiance nationale ? Attendez du moins de pouvoir relever à sa charge quelques défaillances ! » Ces argumens n’ont pas convaincu la Chambre : ils auraient aujourd’hui moins de force encore, et surtout d’opportunité.


Depuis quinze jours, il ne s’est rien passé en Extrême-Orient qui mérite une attention particulière, sauf pourtant que le Japon a notifié aux puissances que l’état de guerre existait entre lui et la Chine. On se demandait si cette formalité serait remplie. Les nations d’Extrême-Orient ont l’habitude de faire la guerre sans la déclarer ; mais si cette abstention n’a pas d’importance entre elles, il n’en est pas de même en ce qui concerne les autres pays. L’affaire du Kowskung a sans doute ouvert les yeux au Japon sur les responsabilités qu’on risque d’encourir lorsqu’on coule un navire qui porte des troupes chinoises, mais qui se trouve ensuite être un navire anglais. Les jurisconsultes commencent à discuter déjà le point de droit que soulève cet incident. Les uns estiment que, lorsque des actes d’hostilité ont eu lieu, l’état de guerre doit être considéré comme existant, quand même il n’y aurait eu encore ni déclaration entre les belligérans, ni notification aux neutres ; les autres soutiennent que les propriétaires du Kowshung, aussi bien que ses officiers, étaient en droit d’ignorer l’état de guerre, et que, la Chine étant suzeraine de la Corée, rien n’était plus légitime de leur part que de transporter des troupes dans un pays vassal, qui, d’ailleurs, les avait appelées. Il est probable que l’affaire sera dans quelques années réglée par un arbitrage, comme cela est arrivé pour l’Alabama. La cause est assurément intéressante, le droit est douteux, et, au surplus, les circonstances du combat ne sont pas encore connues avec assez de certitude pour qu’on puisse émettre une opinion quelconque.

Voilà donc la guerre entamée. Les bons offices des puissances européennes n’ont pas réussi à l’empêcher d’éclater. On a mis en cause la sincérité de quelques-unes d’entre elles, notamment de l’Angleterre : rien ne nous paraît moins à propos. L’Angleterre n’a pas intérêt à ce que son commerce avec la Corée et la Chine soit troublé pendant un nombre de mois, ou même d’années, qui reste incertain. On lui attribue des visées ambitieuses qu’elle n’a pas manifestées jusqu’ici, puisque, après avoir occupé Port-Hamilton pendant deux années, elle l’a évacué. Il est bien possible qu’un jour ou l’autre les prévisions des pessimistes se trouvent justifiées. La guerre, en se prolongeant, peut modifier les situations respectives des puissances, et obliger celles-ci à pourvoir à leurs intérêts ; mais, dans