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la réforme soit une charge de plus pour le budget général. Nous n’avons pas sous les yeux la totalisation des chiffres que nos 36 000 communes paient pour la police ; mais ce qui est significatif, c’est que le budget de la sûreté générale au ministère de l’Intérieur ne s’élève guère qu’à 2 millions. Sait-on au contraire, quel est celui de la préfecture de police à Paris ? Il est de 29 millions, et, par une anomalie qu’il faudrait aussi faire disparaître, les 8 millions que l’État fournit sur cette somme, comme une sorte d’abonnement, tombent dans la caisse municipale et en sortent avec le caractère de fonds municipaux. C’est le contraire qui doit avoir lieu ; c’est le fonds de concours fourni par la ville, soit 21 millions, qui doit devenir fonds d’État. Assurément ce côté de la question a moins d’importance que ceux que nous avons déjà exposés : il en a cependant, et les conseillers municipaux de Paris, aussi bien que les maires de province, savent bien dire aux agens de police : « C’est nous qui vous payons, » d’où le pauvre agent, d’instruction médiocre, conclut naturellement qu’il doit servir qui le paie. Au reste, en ce qui concerne Paris, il y aurait une réforme plus radicale à faire. Elle a été proposée il y a quelques années au Sénat par MM. de Marcère, Léon Say, Léon Renault, et ce dernier a écrit à cette occasion un rapport que l’on consultera toujours avec grand profit. Il s’agissait de rattacher le budget de la préfecture de police à celui de l’État et de le faire voter par les Chambres, en imposant à la ville une cotisation à déterminer. Le Sénat a voté le projet de loi qui, depuis lors, est à la Chambre, attendant sans doute, pour y être discuté, la fin des interpellations inutiles et violentes. Ce rattachement s’impose si on veut faire une œuvre complète. Mais le voudra-t-on ? Qui pourrait prévoir le résultat des méditations auxquelles se livre en ce moment M. Dupuy ? Ministre de l’Intérieur, aura-t-il le bon sens et courage de renoncer à son action directe sur la sûreté générale pour fondre celle-ci avec la préfecture de police ? On a vu des ministres de l’Intérieur que cette pensée épouvantait. Ils avaient peur de faire du directeur général de la police et de la sûreté un personnage trop considérable, et l’ombre de Fouché dressait dans leur imagination sa silhouette inquiétante. Pourtant, il ne s’agit pas de faire un ministre, mais un simple directeur qui, quelle que soit son importance, restera un subordonné toujours révocable. Enfin la réforme est à ce prix : si on ne fait pas cela, on nous aura insuffisamment rassurés.

Et nous avons besoin de l’être. Pourquoi ne pas avouer que le verdict rendu dimanche dernier dans le procès des Trente, comme on l’a appelé parce que trente anarchistes comparaissaient devant la Cour d’assises, n’est pas de nature à inspirer une pleine confiance dans l’institution du jury ? Tous les argumens donnés en faveur de la récente loi qui vient d’être votée par le Parlement, ne valent pas la leçon de choses,