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force sur tous les points d’un atelier, un des moteurs intermédiaires venait à manquer : rien ne va plus. Cette conclusion serait excessive pour les maires, car il y en a de bons, mais il y en a aussi qui ne le sont pas, et qui ne sont élus et maintenus par leur conseil municipal qu’à la condition d’être mal avec le préfet et de le braver. Il y a des municipalités socialistes ; il y en a de révolutionnaires. Toutes sont chargées de la police, et il est facile de deviner comment quelques-unes s’en acquittent.

Que peut la direction de la sûreté générale dans des conditions semblables ? Elle a en province un certain nombre de commissaires de police nommés et révoqués par elle, mais qui sont mis presque entièrement à la disposition des maires et payés par le budget municipal. C’est le maire qui leur adresse des ordres, c’est à lui qu’ils font leur rapport, c’est lui, — ce point est important, — qui leur donne des notes de service et décide par là de leur avenir. On ne saurait concevoir une situation plus anormale que celle de ces fonctionnaires amphibies, nommés par l’État, et payés par les communes, qui vivent loin du préfet et toujours près du maire. Tels sont les agens de la sûreté générale. Il est vrai qu’elle en a d’autres, les commissaires spéciaux des chemins de fer et des ports ; mais ceux-ci sont en petit nombre, malgré le crédit de 800 000 francs que les Chambres ont voté au mois de décembre dernier pour en créer de nouveaux, et ils n’habitent que dans les ports et dans les gares. Les commissaires spéciaux appartiennent à la sûreté générale, et leur institution doit servir de modèle pour les autres. Puisqu’on prépare une réforme devenue indispensable, la première chose à faire est d’enlever aux maires la police de sûreté et de la confier à des agens qui dépendront directement du pouvoir central ; la seconde est de fondre ensemble la préfecture de police et la direction de la sûreté générale. Nous aurons alors une police, au lieu d’en avoir autant que de communes, c’est-à-dire trente-six mille.

Veut-on se rendre compte par quelques exemples des conséquences déplorables de l’organisation actuelle ? Il en est un qui a été cité plus d’une fois, parce qu’il vient le premier à l’esprit. Le département du Nord présente une agglomération de trois villes importantes, Lille avec 350 000 habitans, Roubaix avec 120 000 et Tourcoing avec 90 000 environ. Les conseils municipaux et par conséquent les maires de ces villes diffèrent sensiblement. Il n’y a que du bien à en dire à Lille, moins à Tourcoing, et pas du tout à Roubaix, qui est devenue la ville sainte du socialisme révolutionnaire. M. Jules Guesde assurait récemment à la Chambre que tout allait au mieux dans cette abbaye de Thélème, parce que chacun y faisait ce qu’il voulait. La police n’y existe pas, ou si peu que rien. Cela donne envie, n’est-ce pas ? d’aller y habiter. Eh bien ! qu’arrive-t-il ? Supposons que la police de Lille soit sur la piste d’un homme dangereux et que celui-ci se sente surveillé et menacé : rien de