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disparates qui constituent son caractère et qui lui donnent sa force, si on la dégage du milieu parisien qu’elle remplit et où elle se meut pour l’enfermer dans une orbite étroite, elle sera bientôt réduite à la même impuissance que la sûreté générale. Mais, dit-on, il s’agit là d’attributions municipales ; elles doivent donc aller au préfet de la Seine qui est, en attendant mieux, le maire de Paris. En effet, ce sont là des attributions municipales, et c’est pour ce motif qu’il faut les laisser où elles sont, car le vrai maire de Paris n’est pas le préfet de la Seine, c’est le préfet de police.

Heureusement, ce maire est nommé par l’État, et malheureusement, — du moins à ce point de vue spécial, — les maires de province, qui ont à peu près les mêmes attributions, sont nommés par les conseils municipaux. Ainsi l’a décidé la loi de 1884, et on aurait tort de s’en plaindre : d’abord parce que cela ne servirait de rien et qu’il n’y a aucune apparence que la loi vienne à être changée, ensuite parce que cette réforme était dans la logique des choses et que, tôt ou tard, elle devait être définitivement réalisée. Les idées de décentralisation ont fait de grands progrès depuis un quart de siècle. Dangereuses lorsqu’on les pousse à l’excès, elles sont en elles-mêmes parfaitement légitimes. L’absorption par l’État de toute l’administration d’un grand pays avait fini par produire de graves inconvéniens ; le moment était venu de rendre aux départemens et aux communes des attributions qu’ils pouvaient exercer aussi bien que l’État, mieux même, et dont l’abandon par celui-ci avait l’avantage de rendre à la vie provinciale quelque chose de l’activité et de l’intérêt qu’elle avait eus à d’autres époques. Il ne faut donc pas blâmer la loi de 1884 d’avoir donné aux conseils municipaux la nomination des maires ; mais il aurait fallu, avant de la voter, distinguer entre les attributions de ceux-ci, leur laisser, et très largement, celles qui ont un caractère purement municipal, qui intéressent le bon ordre local ou qui se rapportent à la salubrité publique : au contraire, il fallait leur reprendre celles qui touchent au bon ordre général et à la sûreté même de l’État. C’est ce qui n’a pas été fait. Les maires élus par les conseils municipaux et sur lesquels le gouvernement n’a plus aucune prise réelle, aucun moyen d’action efficace, ont hérité en bloc de toutes les attributions de police de leurs prédécesseurs nommés par le pouvoir central. Si le préfet de police est le maire de Paris, en revanche les maires de province sont les préfets de police de leurs communes. La différence est que le préfet dépend du ministre de l’Intérieur, tandis que les maires dépendent des conseils municipaux ; ils ne peuvent être suspendus que pendant quelques semaines, et, s’ils sont révoqués, ils redeviennent rééligibles au bout d’un an. Les résultats vont de soi. Les agens d’exécution que le gouvernement avait autrefois dans les maires lui échappent aujourd’hui presque complètement. C’est comme si, dans la transmission de la