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a employée plus d’une fois à contrôler ou même à contrarier celle de son préfet. Il a voulu se montrer mieux renseigné dans certains cas, il s’est cru mieux inspiré dans beaucoup d’autres. Et voilà comment la dualité de la police s’est maintenue pendant plusieurs années, comme si la police pouvait avoir un objet double, ou plutôt deux objets distincts ! Il est temps de mettre fin à cette anomalie, et on n’aura rien fait de sérieux si on ne prend pas ce parti.

Mais, quand on l’aura pris, on n’aura encore rien fait de vraiment efficace si on ne s’empresse pas de refondre la direction de la sûreté générale. La rattacher à la police telle qu’elle est aujourd’hui serait y rattacher une non-valeur. La préfecture de police, pour son compte, et sauf quelques détails, est restée depuis son origine un organisme admirable et qui remplit parfaitement son objet. Il est bien vrai que, sous prétexte de donner des satisfactions au Conseil municipal de Paris, on a attribué à la préfecture de la Seine un certain nombre de services qui étaient mieux placés à la police et qui lui apportaient un lot très utile d’informations ; mais il lui en reste encore assez pour savoir ce qui se passe dans tous les replis de la grande ville et pour y porter rapidement sa surveillance ou son action. Il est bien vrai aussi que des esprits systématiques ne manquent pas de proposer, toutes les fois que la question se présente, de détacher de la préfecture de police, pour les transporter à la préfecture de la Seine, la plupart des services qu’elle a conservés. Pourquoi, demandent-ils, laisser à la préfecture de police les halles, les marchés, la navigation de la Seine, etc. ? Ne sont-ce pas là des services essentiellement municipaux, et n’est-ce pas surcharger et écraser la préfecture de police que de les lui confier ? Ne vaut-il pas mieux que la préfecture de police consacre, sans distraction, toute son activité à veiller à la sûreté publique, au lieu de s’occuper de mille soins étrangers à ses attributions ? Ceux qui raisonnent ainsi, et ils sont malheureusement nombreux, ne comprennent rien à la préfecture de police. Ils la conçoivent comme un être abstrait, remplissant une fonction déterminée, et qui ne doit avoir de contact qu’avec les criminels, lorsqu’elle réussit par hasard à les trouver. La vérité, au contraire, est que, pour remplir sa mission, la préfecture de police doit être avant tout une immense agence de renseignemens rapides et continuels. Elle doit avoir l’œil et la main partout, et non pas seulement pour arrêter et pour frapper, mais pour rendre service au public, pour arranger sur place les petites affaires qui risquent de s’envenimer, pour accorder de menues faveurs qui ne nuisent pas à l’ordre public, enfin pour se montrer utile et bienfaisante autant qu’elle doit être, dans d’autres circonstances, énergique et sévère. À ce prix seulement, elle sait ce qui se passe, elle est avisée de tout, elle peut prendre à temps ses dispositions, en un mot elle est un organisme vivant au lieu d’être une entité administrative. Si on lui enlève les attributions en apparence