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donner à notre police l’unité qui lui manque et pour lui restituer partout le caractère d’une institution d’État ? En tout cas, rien n’est plus désirable, car les pièces du système concordent entre elles ; une réforme partielle n’acquiert pas toute sa valeur relative, si on laisse subsister à côté des défauts d’harmonie ; enfin, lorsqu’on tente un effort aussi considérable que celui qu’il faudra pour opérer chez nous la réorganisation de la police, mieux vaut s’arranger pour tout faire en une fois : c’est une économie de forces et on est plus sûr de remplir le but.

L’état de choses actuel est si défectueux qu’on est étonné qu’il n’ait pas produit plus tôt les conséquences qui commencent à se développer. Nous ignorons, au sujet de la réforme annoncée, quelles sont les idées du gouvernement, puisqu’il ne les a pas encore fait connaître ; mais il n’est pas difficile de signaler les points faibles du système, et les remèdes découlent tout naturellement de cette constatation. Nous avons aujourd’hui deux polices distinctes, l’une pour Paris, l’autre pour la province. La première est faite par la préfecture de police, la seconde par les maires. Il y a bien au ministère de l’Intérieur une direction qui porte le nom de sûreté générale, et qui est censée diriger la police en province, mais elle n’a aucun moyen de le faire et son insuffisance est notoire : nous allons dire pourquoi. On entend répéter partout qu’il faut réunir dans les mêmes mains la sûreté générale et la police. Elles ont été réunies autrefois, et elles n’auraient jamais dû, en effet, cesser de l’être. Paris n’est pas en France comme une île sans rapports avec ce qui l’entoure. Aujourd’hui surtout que les moyens de communication se sont si extraordinairement multipliés, ces rapports sont devenus continuels. Tel malfaiteur qui est aujourd’hui à Paris sera demain à Quimper ou à Nice. Les anarchistes correspondent les uns avec les autres et se prêtent mutuellement appui. Est-il admissible que, dans la recherche ou dans la poursuite qui en est faite, on emploie deux administrations différentes ? Le temps que met l’une à saisir l’autre de l’affaire qu’elle abandonne suffit le plus souvent à faire perdre une piste, et les criminels en profitent pour disparaître. Il serait difficile d’expliquer comment a pu venir à l’esprit une idée aussi absurde que de séparer la sûreté générale et la police pour les confier à des mains différentes, parfois rivales ; mais la séparation une fois faite, il l’est beaucoup moins de faire comprendre pourquoi elle s’est perpétuée. Nos ministres de l’Intérieur, de quelque nom qu’ils se soient appelés, n’ont pas tardé à regarder la direction de la sûreté générale comme la plus intéressante de leurs attributions. Sans doute la préfecture de police relève d’eux, mais le préfet de police n’en est pas moins à beaucoup d’égards un personnage indépendant, ayant ses attributions propres et disposant directement d’un personnel considérable. Il faut aussi lui abandonner une partie des fonds secrets. La tentation s’est trouvée grande pour le ministre d’avoir une police à lui, bien à lui, qu’il