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son nom même serait inconnu si le docteur Johnson, son ami, ne lui avait consacré une longue étude.

De fait, la poésie de Collins a terriblement vieilli ; elle se ressent trop de la rhétorique fleurie de l’école de Pope ; et seule, parfois, la noble harmonie de certaines odes rachète leur froideur, l’élégance apprêtée de leurs métaphores. Mais d’autant plus m’a touché le récit de sa misérable vie, tel que je l’ai trouvé dans le Temple Bar de ce mois.

Il avait été un enfant prodige. À l’école, il avait dédaigné le vers latin pour chanter, en anglais, les larmes de la belle Amélia C. À Oxford, il avait publié des Églogues persanes, dont la renommée s’était étendue bien au-delà des limites de l’Université. Et c’est avec un monde d’espoirs et d’ambitions dans le cœur qu’il était allé, au sortir de l’Université, faire visite en Flandre à son oncle le colonel Martin, qui était riche, célibataire, et s’était jusqu’alors intéressé à lui. Mais le colonel n’appréciait guère les avantages du métier de poète : « Vous êtes trop paresseux même pour l’armée, dit-il à son neveu : il ne vous reste qu’à vous faire pasteur. » Et il le congédia, sans lui rien donner que ce sage conseil.

Collins vint à Londres et essaya de vivre de ses propres moyens. Mais son oncle avait eu raison en le jugeant paresseux. Son indolence était si grande que pas une fois il n’eut le courage de réaliser les projets qu’il avait en tête. C’est durant ces années de misère que le rencontra Johnson. Il le trouva incarcéré dans son taudis, sous la surveillance d’un recors qui rôdait devant sa porte. Il le recommanda à un éditeur, qui lui avança quelques guinées à compte sur une traduction de la Poétique d’Aristote. Collins ne paraît pas avoir jamais écrit une ligne de cette traduction ; mais, du moins, il dépensa les guinées, et s’offrit même, grâce à elles, un petit séjour à la campagne.

Enfin son oncle mourut, lui laissant deux mille livres. Malheureusement il était trop tard : le pauvre Collins était devenu fou. C’est du moins ce que nous affirme son fidèle ami, le docteur Johnson, et voici comment il rapporte la dernière visite qu’il lui a faite : « Je n’ai plus trouvé, dans son esprit, aucune trace de discorde ; mais il avait pris l’étude en aversion, et n’emportait plus dans ses promenades d’autre livré qu’une Bible anglaise, comme celles que les petits enfans épellent à l’école. Je la pris en mains par curiosité, et pour voir quel compagnon s’était choisi ce poète. Et Collins me dit : « Voyez, je n’ai plus qu’un seul livre, mais c’est le meilleur de tous. » Telle a été la destinée de cet homme, avec qui j’avais jadis tant de plaisir à converser, et dont je garderai toujours un tendre souvenir. »


Mais ni la destinée de Collins ni celle de Keats, ni celle d’aucun