n’a cessé de progresser, est aujourd’hui pleinement formé et maître de soi. Le moment peut donc être bien choisi pour esquisser la physionomie de l’écrivain.
M. Rod nous présente quelque part un excellent ami qu’il a et qu’il appelle Jacques, afin de ne pas nous livrer son nom véritable. « C’est un homme grave, nullement facétieux, d’un esprit plus solide qu’aimable… Ayant à un haut degré le goût de la vérité, et toujours sincère avec lui-même, il ne s’exprime jamais sur rien qu’avec de prudentes réserves[1]. » Cette sincérité et cette simplicité font qu’on est tout de suite attiré vers Jacques. Pourtant, au premier abord, on sent qu’il y a de lui à nous quelque distance. Dans le tour d’esprit et dans la façon de conduire sa pensée, il a des habitudes un peu différentes de celles qui sont le plus répandues chez nous. Il a passé sa jeunesse dans un pays tout voisin de la France, mais qui tout de même n’est pas la France. Il a étudié dans des gymnases où les méthodes d’enseignement ne sont pas absolument les mêmes que dans nos collèges classiques. Lui-même a professé là-bas. Il a occupé la chaire de littératures étrangères à l’Université de Genève. C’est un universitaire suisse. Et c’est un protestant. Certes il n’est pas resté attaché au dogme. Même il n’a gardé nulle tendresse de cœur pour la religion où il a été élevé. Il raille, chaque fois qu’il en trouve l’occasion, ou qu’il la peut faire naître, « cette religion ratiocinante, toute de compromis entre le dogme et le sens commun, dont la dialectique et l’exégèse sont d’une si lamentable pauvreté, dont le culte glacial n’est qu’un interminable discours… débité d’une voix dolente, avec des gestes faux et des intonations pleurardes, cette religion qui ergote au lieu d’aimer[2]. » Mais si tyranniques sont certaines attaches qu’on se flatte en vain de les avoir complètement brisées : nous restons pour la vie prisonniers de la religion qui a d’abord façonné nos âmes. La foi se perd, non la discipline de l’esprit. L’exemple d’Edmond Scherer, pour n’en point citer d’autres, le prouverait assez pertinemment. Ayant quitté Genève pour Paris, Jacques s’y est fait tout de suite une province à l’image de sa Ville natale. Il vit très retiré au milieu de ses livres et de ses rêves. Il fuit les réunions bruyantes et ne recherche pas les salons où l’on cause. Sa conversation, plus riche d’idées fortes que de mots heureux, est tout unie. Il a l’horreur du paradoxe, l’ironie l’inquiète et la fantaisie l’étonné. Ce Jacques, qui ne ressemble ni à un boulevardier, ni à un mondain, ni à la plupart de nos hommes de lettres, ressemble-t-il très exactement à M. Édouard Rod ? Il est tel en tout cas que nous aimerions à nous représenter, en conformité avec le caractère de son œuvre, l’auteur de la Course à la mort, des Idées du temps présent et de la Vie de Michel Teissier.