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du remplissage, tandis que pendant l’année suivante elle n’a été travaillée qu’à la surface par la bêche de l’ouvrier[1].

Ainsi, et c’est là un point sur lequel on ne saurait trop insister, quand une terre est convenablement remuée, aérée, travaillée, l’azote habituellement inerte qu’elle renferme, évolue, devient soluble, assimilable ; la matière organique azotée de l’humus, attaquée par les fermens, se réduit en acide carbonique, en eau, en nitrates, et si nous en sommes encore réduits à acquérir ces nitrates, c’est que le travail du sol, tel que nous le pratiquons aujourd’hui, est inefficace. C’est aux ingénieurs à se mettre à l’œuvre, c’est à eux qu’il appartient d’imaginer un instrument qui divise, remue, secoue, aère le sol tout autrement que ne le font encore nos charrues et nos herses, qui certainement, dans cinquante ans d’ici, seront reléguées dans les magasins de curiosités à côté des pieux durcis au feu des sauvages ou des araires des Gaulois.

Nous n’avons même aucune crainte que, par ce travail énergique, le stock d’azote de nos sols s’épuise rapidement. Non seulement les recherches de M. Berthelot nous ont enseigné que nos terres sont peuplées de micro-organismes qui fixent l’azote de l’air, mais en outre, tout récemment, l’illustre secrétaire perpétuel, puis M. Winogradsky, ont isolé, décrit, cultivé ces microorganismes ; ces dernières découvertes datent de quelques mois. Qui peut prévoir ce que leur réserve l’avenir !

Nous savons encore que les fermens nitriques de MM. Schlœsing, Muntz et Winogradsky travaillent dans le sol pour rendre assimilable l’azote qu’il renferme ; ce qu’il nous faut apprendre maintenant, c’est à créer un milieu de culture favorable à leur action, et quand nous saurons disséminer les fermens dans une terre meuble et bien aérée, nous pourrons envisager sans crainte l’épuisement du nitrate de soude du Pérou. On peut le dire avec certitude : le règne des engrais azotés finit, celui des bactéries commence !


P.-P. DEHERAIN.

  1. Revue du 15 mai 1893. Voyez aussi : le Travail du sol et la nitrification. — Annales agronomiques, t. XIX, p. 401.