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crise, les tarifs de douane, il nous faut des engrais azotés à évolution rapide, et ici, il convient de s’arrêter encore un instant.

En vingt-cinq ou trente ans, l’agriculture européenne a épuisé le guano : elle exploite aujourd’hui avec une fiévreuse ardeur le nitrate de soude du Pérou ; combien de temps cette exploitation pourra-t-elle durer, nous l’ignorons ; mais ce nitrate a la même origine que le guano, il ne se reproduit pas… on en verra la fin ; d’autre part les progrès de l’hygiène rendront bientôt impossible la préparation du sulfate d’ammoniaque ; il faut donc prévoir le moment où nous serons privés de ces deux puissans agens de fertilité. À ce moment, que ferons-nous ?

Leur rôle est parfaitement défini : nous avons besoin, pour pousser nos récoltes jusqu’à les rendre rémunératrices, de répandre, au printemps, 100 kilos par hectare d’azote assimilable ; en général nos fumures de fumier de ferme, d’une lente évolution, ne les produisent pas, et c’est pour compenser leur insuffisance que nous distribuons nitrate de soude ou sulfate d’ammoniaque.

La situation est singulière ; d’innombrables analyses nous ont enseigné que nos terres cultivées renferment de un à deux millièmes d’azote combiné[1], c’est-à-dire par hectare : de 4 000 à 8 000 kilos, par conséquent de 40 à 80 fois la quantité qui nous est nécessaire ; notre maladresse actuelle est telle que nous sommes incapables d’arracher à cette masse de matière inerte de quoi soutenir nos récoltes, et que nous sommes contraints d’envoyer voiliers sur vapeurs doubler le cap Horn pour aller nous chercher sur la côte du Pacifique l’azote combiné, qui est là, sous nos pieds, et que nous ne savons pas utiliser.

Est-il donc impossible de tirer de notre sol lui-même les nitrates dont nous avons besoin ?

Pendant l’année, mars 1892-mars 1893, les eaux qui ont traversé une terre des cases de végétation de Grignon, qui venaient d’être construites, laissée en jachère sans fumure, ont entraîné la valeur de 221kiI, 4 d’azote nitrique à l’hectare ; c’est plus du double de ce qu’exige une récolte très abondante. Pendant l’année suivante : mars 1893-mars 1894, cette quantité d’azote nitrique est tombée à 79kil, 198. Pourquoi cette différence ? C’est que pendant la première année d’observations, les eaux traversaient une terre qui avait été remuée au moment de son extraction, aérée pendant la construction des cases, remuée de nouveau au moment

  1. Revue du 1er  et du 15 mai 1893.