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autre difficulté : ils sont facilement entraînés par les pluies, de telle sorte qu’on est conduit à exagérer les doses dans l’espoir qu’une fraction de l’engrais distribué persistera et soutiendra la végétation pendant toute sa durée ; mais outre que ces copieux épandages sont fort coûteux, ils exercent, quand la saison n’est pas très pluvieuse, de fâcheuses influences : les céréales continuent de végéter jusqu’à une époque avancée, s’allongent, la paille devient démesurée, la maturation se fait mal. Pour les betteraves, les inconvéniens des fortes fumures azotées ne sont pas moindres ; les feuilles restent en pleine vigueur jusqu’à l’arrière-saison, les racines sont pauvres, elles se chargent de salpêtre qui nuit à la santé des animaux qui consomment ces racines ou gêne l’extraction du sucre.

Après des essais généralement malheureux, on a renoncé presque partout à l’emploi exclusif des engrais salins ; on leur a réservé le rôle d’engrais complémentaires, venant soutenir, fortifier les fumures de fumier de ferme, de tourteaux, d’engrais vert ; c’est à cet emploi qu’ils sont propres et ainsi employés ils rendent des services inappréciables. Parmi les milliers d’exemples qu’on pourrait présenter pour appuyer cette méthode universellement appliquée aujourd’hui dans la région septentrionale de notre pays, où l’on pratique la culture intensive, en Belgique, en Angleterre ou en Allemagne, je choisirai une série d’expériences très bien disposée par le docteur Gilbert. Elle porte sur une culture de pommes de terre continuée pendant dix ans ; on ne plantait pas à ce moment les variétés prolifiques utilisées aujourd’hui, et les rendemens ne sont que médiocres, mais la comparaison est instructive. De 1876 à 1881, on récolte sans engrais 5 711 kilos de tubercules à l’hectare, 13 138 avec du fumier de ferme, 14 012 avec du fumier et du superphosphate, 17 856 avec du fumier, du superphosphate et du nitrate de soude : sur ces dernières parcelles, on cesse de répandre les engrais chimiques de 1882 à 1887, on se borne au fumier de ferme, la récolte tombe à 10 070 kilogrammes.

Quand on ajoute ainsi les engrais chimiques à une bonne fumure de fumier de ferme, on augmente la récolte, et c’est là un point important, mais ce qui l’est davantage encore, c’est qu’on peut impunément réduire la fumure de fumier. En 1885, j’ai essayé sur une variété de blé nouvellement introduite à Grignon de très fortes fumures de fumier de ferme pour apprécier la résistance à la verse qu’elle présentait.

J’ai répandu la valeur de 50 tonnes de fumier à l’hectare, sur une parcelle et sur les champs voisins 30 tonnes seulement, mais