Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/923

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

engrais dans la faiblesse des rendemens de l’ensemble de notre pays, puisque d’immenses étendues en sont privées ; et pour apprécier la valeur des matières fertilisantes nouvellement introduites, il faut concentrer son attention sur les régions où elles sont régulièrement utilisées.

Quand il y a trente ans les expériences de laboratoire eurent démontré l’influence qu’exercent sur la végétation le sulfate d’ammoniaque, le nitrate de soude, les superphosphates, le chlorure de potassium, il y eut un mouvement d’enthousiasme ; la parole ardente de M. Georges Ville suscita les plus brillantes espérances ; on crut que les engrais chimiques allaient profondément modifier notre système de culture… Il fallut en rabattre ; après des succès pompeusement annoncés, on enregistra de fréquens mécomptes, et l’expérience longtemps prolongée montra que la fumure aux engrais chimiques n’est pas plus efficace que celle au fumier de ferme.

Les exemples abondent : sir J.-B. Lawes et sir II. Gilbert ont maintenu pendant plus de quarante ans la culture du blé sur la même pièce dans le domaine de Rothamsted : les parcelles qui ont reçu chaque année du fumier de ferme ont fourni en moyenne 30 hectolitres de grain comme celles qui ont reçu un engrais composé de nitrate de soude, de superphosphates, de sulfates de potasse et de magnésie.

Sur les terres légères comme celles de Grignon, la fumure aux engrais chimiques sans fumier ne donne que de faibles récoltes de betteraves ; en 1887, j’obtenais 38 tonnes de betterave à sucre à l’hectare avec du fumier, 18 avec des engrais chimiques ; en 1888, les différences sont moindres, mais dans le même sens, 42 tonnes avec le fumier, 25 avec les engrais chimiques.

Sur les pommes de terre, les engrais chimiques sont plus avantageux ; mais, quoi qu’il en soit, leur efficacité n’est pas telle qu’on puisse avantageusement substituer à la vieille culture, s’appuyant sur la production du fumier, de nouvelles méthodes basées exclusivement sur l’emploi des engrais chimiques.

Parfois même cette substitution est désastreuse ; les terres privées de fumier mais additionnées de nitrate de soude, de superphosphates, de sels de potasse, changent de nature physique, elles deviennent dures, les argiles se lissent, forment des mottes irréductibles, les travaux ne peuvent plus s’exécuter ; plusieurs des parcelles de mon champ d’expériences de Grignon ont été stérilisées pendant plusieurs années par l’application de fortes doses de sulfate d’ammoniaque.

L’emploi exclusif des engrais solubles présente encore une