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aspect soit changé ; en outre, ces schistes s’attaquent aisément par l’acide chlorhydrique, le mélange d’alumine et d’oxyde de fer qu’on précipite de cette dissolution a le même aspect que le phosphate de chaux ; de là l’addition, en proportions énormes, de ces schistes sans valeur fertilisante, aux engrais phosphatés. On vendait sur garantie à l’analyse commerciale, c’est-à-dire à celle qui se bornait à peser le précipité obtenu par la saturation ammoniacale. Combien de millions ont été extorqués de cette façon ? Nul ne le sait !

Ce ne sont pas seulement les phosphates qui sont fraudés : on vend du nitrate de soude mélangé à du sel ordinaire, même à du sable ; des tourteaux à la sciure de bois ; mais c’est surtout dans les mélanges formés de plusieurs matières fertilisantes et décorés de noms pompeux que tes prix sont majorés. De petits commerçans interlopes achètent, aux grandes usines, des matières premières, les mêlent, puis envoient, au travers des campagnes, des commis beaux parleurs… Ils s’adressent de préférence aux paysans les plus illettrés, font crédit… on ne paiera qu’après la récolte ; les paysans se laissent tenter et finissent par avoir donné des sommes assez rondes pour des engrais de médiocre valeur.

Il fallait mettre un terme à ces indignes tromperies ; on a multiplié les laboratoires agricoles, les chimistes qui les occupent n’obtiennent leur poste qu’après un examen très sérieux, démontrant leur habileté aux analyses ; si leurs résultats sont contestés, ils sont soumis à l’appréciation de chimistes experts choisis parmi les savans qui s’occupent des questions agricoles ; les méthodes analytiques à employer sont connues, fixées, enfin une loi sévère, promulguée le 4 février 1888, force les marchands d’engrais à indiquer la composition des matières fertilisantes qu’ils livrent au commerce. La fraude devient difficile, elle disparaîtra sans doute un jour, mais nous n’y sommes pas encore.

Les cultivateurs ont fini par reconnaître que le mieux cependant était de ne plus s’exposer à être trompés. Ils se sont associés, ont formé des syndicats, qui depuis plusieurs années fonctionnent régulièrement. À la fin de l’hiver, au moment où le cultivateur sait quels engrais de commerce il devra employer et quelles quantités lui sont nécessaires, il envoie sa commande au syndicat qui siège dans une ville voisine de son exploitation. Quand toutes les commandes sont arrivées, le syndicat fait venir de Dunkerque ou du Havre le nitrate de soude, des grandes usines les superphosphates, des consignataires de mines les phosphates pulvérisés, puis adresse à chacun des adhérens les matières fertilisantes demandées : elles proviennent d’établissemens