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de potasse à l’hectare, M. Berthelot en a dosé 35 à Meudon, j’en ai trouvé 32 à Grignon ; sans doute cette masse énorme d’alcali n’est pas engagée dans des combinaisons solubles, mais peu à peu les agens atmosphériques attaquent ces puissantes réserves, qui restent dans les argiles, que l’eau pure est impuissante à entraîner, mais que les sucs acides des racines dissolvent et s’approprient. Quand à des terres semblables on ajoute des engrais de potasse, on n’en tire aucun bénéfice, les récoltes n’augmentent pas.

Dira-t-on que peu importe et qu’il faut savoir s’imposer des sacrifices actuels pour se préserver des maux futurs ; nous répondrons que c’est prévoir le mal de bien loin, que nous voulons jouir de notre bien, qu’il n’y a aucune raison d’interdire à un cultivateur d’exporter la potasse de son champ, quand, à côté de lui, le mineur, à grands renforts de machine, extrait de la houille qu’il serait bien empêché d’avoir à restituer.

En réalité, la théorie de la restitution est une théorie de cabinet, à laquelle aucun praticien ne s’est jamais soumis ; elle s’appuie sur une idée fausse : ce n’est pas la composition de la plante qui règle la nature et le poids des engrais à fournir, c’est la composition du sol ; l’engrais est essentiellement une matière complémentaire, il doit subvenir aux défaillances de la terre. Si l’acide phosphorique fait défaut, il faut se hâter d’en ajouter, et le cultivateur n’y manque pas, car tout de suite sa récolte augmente, il est récompensé, son gain s’accroît ; mais s’il ajoute des sels de potasse, il ne reconnaît pas la place où il les a répandus, rien ne la marque, et le plus clair de l’opération c’est l’augmentation de la facture du marchand d’engrais… Il ne recommence pas.

Est-ce à dire que les engrais de potasse soient toujours sans action ? Non pas ; ils agissent, au contraire, et très bien, là où la potasse fait défaut ; dans les terrains calcaires, en Champagne, dans les terrains tourbeux, dans les grès, leur influence est sensible. Elle l’est surtout quand la culture est soutenue par des engrais chimiques, sulfate d’ammoniaque, nitrate de soude et superphosphates, sans fumier de ferme ; c’est qu’en effet, chaque tonne de fumier apporte 5 kilos de potasse qui, venant s’ajouter à ce que le sol fournit par lui-même, suffisent habituellement à satisfaire les exigences des récoltes.

Aussi bien, nous n’avons nulle inquiétude pour l’avenir : si dans plusieurs siècles l’épuisement en potasse des terres arables se faisait sentir, leur prix s’élèverait, et il deviendrait aisé d’en extraire autant qu’il sera nécessaire d’un réservoir inépuisable : l’Océan.