Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/918

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considérable de la potasse employée dans les arts, on serait conduit à penser que les engrais de potasse, ayant pour but de restituer au sol un élément qui lui est sans cesse ravi, doivent avoir la plus haute efficacité.

On le croyait, et le célèbre baron de Liebig, dont les écrits véhémens ont eu tant de retentissement il y a cinquante ans, avait puissamment établi cette croyance, quand la découverte d’un important gisement de sel gemme portant dans ses couches supérieures un énorme approvisionnement de sels de potasse, permit de soumettre cette croyance au critérium de l’expérience.

Jusque-là les sels de potasse étaient rares, coûteux, leur prix les écartait des usages agricoles ; tout à coup ils furent offerts à des prix abordables, et partout on les mit en expériences ; moi-même il y a trente ans je disposai un grand nombre d’essais, et ce fut avec une stupéfaction profonde que j’aboutis à l’échec le plus complet. Bien d’autres essayèrent comme moi, et ne réussirent pas mieux ; si dans quelques cas on enregistra des succès, dans bien d’autres on reconnut que les sels de potasse n’augmentaient pas les récoltes, et ces échecs portèrent un coup sensible à une théorie encore prônée dans les livres, dans les cours, mais abandonnée par tous les cultivateurs avisés ; cette théorie, imaginée par Liebig, s’appelle la théorie de la restitution.

L’idée est simple : c’est la composition de la plante qui règle la nature des engrais à employer ; vous avez conduit à la sucrerie voisine une bonne récolte de 40 tonnes de betteraves à l’hectare ; dans ces 40 tonnes il existe 64 kilos d’azote, 44 d’acide phosphorique et 160 kilos de potasse ; il faut les restituer au sol qui les a fournis. Si vous y manquez, si vous continuez à pratiquer la culture spoliatrice, la culture vampire des siècles d’ignorance, votre sol déjà affaibli ne portera plus que des récoltes chétives, votre ruine est prochaine ! La véhémence de Liebig en avait imposé, et quand, en 1865, les engrais de potasse furent offerts à des prix abordables, on se hâta d’autant plus de les employer qu’on commençait à reconnaître l’efficacité des engrais minéraux et notamment des phosphates ; habituellement cette addition des sels de potasse ne produisit aucun effet, et il est facile d’en saisir la raison.

Quand, à l’aide d’agens puissans comme les acides fluorhydrique et sulfurique, on réussit à dissoudre complètement quelques grammes de terre, et qu’à la suite de séparations laborieuses, on isole et on pèse la potasse qu’ils renferment, puis que par le calcul on rapporte à l’hectare, on arrive à des chiffres formidables ; les agronomes allemands ont trouvé de 36 à 40 tonnes