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les os des générations qui se sont succédé à Paris ; ces os tapissent aujourd’hui les longues galeries des catacombes, et on conçoit sans qu’il soit nécessaire d’insister que ce transport constant des phosphates, des champs cultivés aux ossuaires des grandes villes, ait déterminé un appauvrissement qui se manifeste par la diminution des récoltes.

J’ai rappelé plus haut la transformation qu’avait subie le domaine de Blaringhem entre les mains de mon collaborateur feu M. Porion ; j’ai rappelé qu’une terre forte, compacte, assouplie par la chaux, assainie par le drainage, avait fini par produire d’admirables récoltes de froment… On ne les obtenait qu’à la condition d’employer des engrais phosphatés ; le sol ne contenait, en effet par kilogramme, que 0gr, 7 d’acide phosphorique, ce qui est insuffisant.

Ce n’est plus cependant la poudre de nodules qu’il fallait employer sur ces terres en culture depuis un temps immémorial, elle n’exerçait pas d’action sensible ; il fallait répandre les phosphates traités par l’acide sulfurique, les superphosphates. C’est là l’engrais phosphaté qui convient aux vieilles terres, cultivées depuis longtemps. Son efficacité est telle, particulièrement pour les cultures de racines, que son emploi s’accroît constamment. En Angleterre, le fameux assolement quadriennal du Norfolk, qui a marqué le grand progrès accompli à la fin du XVIIIe siècle, s’ouvre par les turneps, les navels, auxquels on ne manque jamais de distribuer des superphosphates ; on ne les a remplacés que récemment sur les terres pauvres en calcaire par la poudre des scories de déphosphoration.

En France, la riche région qui s’étend au nord-est de Paris doit sa prospérité à la culture de la betterave à sucre ; l’épandage des superphosphates y est la règle. Il n’est pas cependant toujours utile. Sur nos terres de Grignon, les superphosphates n’exercent aucune action ; il en est de même dans la Limagne d’Auvergne. J’en ai cherché la raison : quand on incorpore au sol du superphosphate, on introduit de l’acide phosphorique libre, soluble dans l’eau, mais très vite cet acide est saturé par les bases du sol, par la chaux des calcaires, l’oxyde de fer ou l’alumine des argiles : on reforme ainsi, je l’ai déjà indiqué ailleurs, un phosphate insoluble dans l’eau, il est vrai, mais floconneux, gélatineux, très attaquable aux acides végétaux, une matière ouverte, comme disent les Allemands.

Il faut que cette saturation ait lieu ; si elle ne se produisait pas, l’influence des superphosphates serait déplorable : les tissus délicats des jeunes racines seraient rongés, corrodés, détruits