Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La portée de cette expérience de laboratoire est considérable ; elle permet non seulement de concevoir comment les eaux calcaires sont limpides, tandis que celles qui coulent dans les terrains pauvres en chaux sont limoneuses, comment les eaux de l’Océan sont claires ; elle explique on outre la formation des deltas à l’embouchure de tous les grands fleuves. Au contact des eaux marines, les eaux douces chargées de limons se clarifient, les argiles qu’elles entraînaient se déposent et forment des dépôts de boue au travers desquels les fleuves ont peine à se frayer un passage, ils se divisent, [se bifurquent : le Nil, le Gange, le fleuve Rouge du Tonkin, l’Amazone, l’Orénoque, le Rhône, le Rhin, le Pô, n’arrivent à la mer que par des deltas.

L’expérience de M. Schlœsing peut-elle en outre expliquer les avantages qu’on trouve à chauler une terre forte, les inconvéniens qu’entraîne la même opération pratiquée sur les terres légères ? C’est ce qu’il nous reste à discuter. Une terre forte, riche en argile, est peu perméable à l’eau et à l’air. Si elle n’est pas drainée, il faut la cultiver en billon pour faciliter l’écoulement de l’eau, l’ennemi est l’excès d’humidité retenue par l’argile, qui forme comme une éponge toute gonflée de liquide ; la chaux coagule cette argile : elle comprime l’éponge et laisse l’eau s’échapper ; la terre devient plus filtrante, moins collante, plus abordable : le chaulage des terres fortes est avantageux. Dans une terre légère, le sable domine ; reçoit-elle une forte pluie, celle-ci s’infiltre, disparaît ; deux heures plus tard la terre est abordable, l’ennemi est la sécheresse. Si la chaux coagule l’argile peu abondante que cette terre renferme, elle diminue encore sa faculté de retenir l’eau, les défauts de la terre légère s’exagèrent ; l’opération est déplorable.

Toute la chaux employée aux usages agricoles n’est pas acquise pour être répandue sur les terres : dans le nord-est de la France, une fraction importante de la chaux utilisée provient des sucreries ; elle est contenue dans le produit désigné sous le nom d’écumes de défécation. On sait que, pour purifier les jus sucrés qui proviennent du traitement des betteraves, on les mélange à de la chaux éteinte, puis délayée dans l’eau, à du lait de chaux ; quand ce mélange a été effectué, on précipite la chaux à l’aide d’un courant d’acide carbonique provenant, comme la chaux elle-même, de la calcination du calcaire, de façon qu’on reforme, dans les cuves de jus sucré, le carbonate de chaux qu’on a décomposé dans les grands fours coulans qu’on voit dans toutes les sucreries. Le précipité de carbonate de chaux qui se produit dans