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Pas-de-Calais, un petit domaine situé sur la commune de Blaringhem ; il était affermé. Un beau jour, le fermier vint trouver son propriétaire, demandant la résiliation du bail : il ne pouvait, disait-il, tirer aucun parti de la terre lourde, tenace, qu’il avait louée, il perdait de l’argent ; en continuant, il marchait à la ruine. M. Porion lui rendit sa liberté, reprit le domaine, et se mit en mesure de l’exploiter lui-même ; il procéda à un drainage très soigné, chaula, puis distribua de très copieuses fumures de fumier de ferme. Toutes ces améliorations étaient réalisées quand je commençai à m’occuper de sa culture. Or, cette terre, dont un fermier, trop pauvre pour entreprendre les améliorations foncières, et même trop ignorant pour les demander, ne pouvait tirer aucun parti, a fourni des récoltes de blé qui se sont élevées en 1885 à 43 quintaux métriques de grain à l’hectare, à 45,3 en 1886 et à 36, 15 en 1887, c’est-à-dire très supérieures à la moyenne de cette région, qui est cependant celle qui fournit les plus hauts rendemens obtenus en France.

Le chaulage des terres fortes est donc souvent extrêmement avantageux. Il n’en est plus de même des terres légères : à Grignon, je cultive un sol qui souffre bien plus de la sécheresse que de l’humidité. C’est pendant les années pluvieuses qu’on y obtient les récoltes les plus élevées. Personne ne marne ni ne chaule dans le pays ; cependant, pour en avoir le cœur net, j’essayai, il y a déjà plusieurs années, de répandre de la chaux sur quelques parcelles du champ d’expériences… l’effet fut déplorable, les récoltes amoindries pendant plusieurs saisons.

À quelles causes attribuer des résultats si différens ? comment se fait-il que sur la terre forte de Blaringhem le chaulage ait été merveilleux, détestable sur la terre légère de Grignon ? Certainement ce dernier sol est plus calcaire que celui du Nord, mais les différences dans la teneur en chaux ne sont pas suffisantes pour expliquer ces résultats opposés.

Les effets multiples du chaulage sont bien loin d’être encore complètement élucidés ; cependant, en s’appuyant sur une très élégante expérience due à M. Schlœsing, on peut risquer quelques hypothèses. Quand on délaie de la terre argileuse non calcaire dans de l’eau distillée, puis qu’on abandonne au repos l’eau bourbeuse ainsi préparée, elle ne s’éclaircit pas ; le sable tombe au fond, mais l’argile reste en suspension pendant plusieurs jours. Il est facile cependant de clarifier l’eau rapidement ; quand on y verso un sel de chaux ou encore du sel marin, l’argile se coagule, s’agglutine, forme des flocons qui bientôt gagnent le fond du vase ; il se dépose une couche de boue, et l’eau devient limpide.