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laissaient au propriétaire qu’un revenu insignifiant, il a suffi de chauler et d’ajouter des phosphates pour modifier la culture : les animaux, mieux nourris, ont donné de meilleur fumier ; toutes les récoltes s’en sont ressenties : en quelques années, les revenus ont doublé et même parfois quadruplé.

Dans tous les pays granitiques, les amendemens calcaires sont recherchés. Dans nos départemens de l’Ouest, on emploie, depuis un temps immémorial, des sables coquilliers qui se déposent dans les baies, les anses, principalement à l’embouchure des rivières de la basse Normandie et de la basse Bretagne. Ces sables, désignés sous le nom de tangues, sont obtenus par le raclage des plages ou le dragage régulier des bancs. L’action en a été observée dès le moyen âge : d’anciens cartulaires, des pièces relatives à des concessions de droit de tangage, permettent d’établir qu’au XIIe siècle les populations du Nord-Ouest se servaient de la tangue pour améliorer leurs terres.

Les variétés les plus recherchées sont les plus riches en carbonate de chaux. La tangue renfermant de petites quantités d’azote est parfois employée seule, plus souvent cependant on en fait des composts ; on la mélange à du fumier, des balayures, des curures de mares ou de fossés, qu’on stratifié régulièrement.

C’est aussi en mélange avec le fumier que la chaux est employée dans la Sarthe et la Mayenne. On a cru pendant longtemps que cette pratique était condamnable : on pensait que la chaux dégagerait, en pure perte, l’ammoniaque du fumier et qu’on ne répandrait plus après cette addition que du fumier appauvri ; mais ces critiques tombent quand on examine de plus près le mode d’opérer des cultivateurs de l’Ouest. Ils creusent un fossé, dans lequel ils déposent de la chaux vivo qu’ils couvrent de terre ; après quelques jours cette chaux s’est éteinte et réduite en poudre ; on incorpore à la terre la farine de chaux ainsi préparée ; on apporte alors le fumier le long de la fosse, puis on procède au mélange, on recouvre de terre, et on abandonne pendant quelques mois ce compost de fumier, de chaux et de terre, qui, présentant un volume plus grand que celui de la terre extraite du fossé, dépasse le niveau du champ, d’où le nom de « tombe » sous lequel ce compost est généralement désigné dans le pays.

Les cultivateurs qui ont imaginé ce mode de traitement du fumier ont, sans s’en douter, réuni toutes les conditions favorables à une nitrification active : l’ammoniaque dégagée du fumier par l’action de la chaux est retenue par les propriétés absorbantes de la terre, et bientôt devient la proie des fermens nitriques, qui travaillent bien plus activement dans ce compost que dans les terres