Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/893

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il n’est pas un employé de la ville qui n’acquitte le tribut à Tammany-Hall ; il n’est pas un cabaret qui ne paie sa redevance. Le vice surtout est d’un bon rendement. Pas une maison de jeu, de passe ou de prostitution qui n’achète à beaux deniers comptans une tolérance sans laquelle elle ne saurait exister. On compte, à New-York, 3 000 établissemens louches, employant plus de 30 000 personnes. Leur existence dépend du conseil municipal, ou mieux de Tammany-Hall qui octroie ou supprime leur licence. Sur son ordre, la police ouvre ou ferme l’œil et, dit M. Childs Merwin, « si anormal qu’il paraisse, cet abus a ses avantages, ce système tendant à réduire le nombre de ces établissemens et à y faire régner un ordre relatif ».

De fait les récalcitrans sont rares, et Tammany-Hall a promptement raison de leurs velléités de résistance. Le propriétaire d’un hôtel diminue-t-il ou supprime-t-il sa contribution annuelle ? À dater de ce jour, il est en butte à des vexations sans fin. Les inspecteurs des logemens publics trouvent à redire à tout : son système d’écoulement des eaux ménagères est défectueux, il faut le changer ; ses cuisines sont mal aérées, ses dégagemens, en cas d’incendie, sont insuffisans. S’agit-il d’un négociant ? Il est en contravention avec les ordonnances relatives au stationnement des camions, au déchargement des marchandises ; il encombre le trottoir et gêne la circulation. L’un d’eux possédait dans la ville plusieurs magasins dans lesquels il débitait un article unique et spécial et, pour ce faire, il payait une seule patente. La municipalité fermait les yeux, mais le lendemain du jour où il réduisit sa souscription à la toute-puissante association, on le mettait en demeure d’acquitter autant de patentes qu’il possédait de succursales. Tout compte fait, il estima plus avantageux de revenir à l’état de choses primitif. Cette surveillance inquisitoriale s’étend aussi aux opinions politiques bruyamment professées. Un loueur de voitures avait à son service un jeune commis, capable, actif et intelligent, mais prenant souvent la parole dans les réunions publiques et dénonçant violemment les abus de pouvoir et la tyrannie exercée par Tammany-Hall. La police eut tôt fait de découvrir que l’établissement du loueur de voitures n’était pas régulièrement tenu, que le fumier devait être enlevé plus fréquemment, que le stationnement des voitures devant sa porte, toléré depuis des années, était contraire aux ordonnances. Il dut capituler et congédier son employé.

Ces ordonnances de police et de voirie sont, aux mains de l’association, une arme infaillible. Votées par la législature siégeant à Albany, et composée des créatures de Tammany, elles remplissent deux énormes in-folio de 900 pages chacun que,