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la pêche, encore bien moins des radeaux ; ils passaient à la nage d’une île à l’autre. Les nègres Boschimans sont incapables des raisonnemens les plus simples pour améliorer leur misérable condition. Décimés par la famine, ils sont entourés de peuples pasteurs ; depuis des siècles ils s’emparent des troupeaux de leurs voisins pour les détruire et les manger, mais pas un n’a eu l’idée d’en élever de semblables ou, simplement, de conserver ceux qu’il avait capturés. Ce trait de génie est au-dessus d’eux ; ils continuent à mourir de faim plutôt que de suivre l’exemple de leurs voisins. Ils ont des armes, qu’ils manient avec la dernière adresse, mais ils sont incapables d’y apporter la moindre amélioration : aussi a-t-on dit que leur arme, — le boomerang, — fait partie de leur individualité immuable.

Ce qui s’est d’abord développé par sélection chez les hommes primitifs, c’est tout ce qui pouvait les aider dans la vie sauvage, tout ce qui pouvait les adapter à leur milieu. Sous ce rapport, ils ont acquis parfois des aptitudes remarquables. Un Esquimau consomme par jour, en moyenne, 24 livres de viande et de graisse et boit de l’huile de baleine comme nous buvons de l’eau. Ne connaissant pas l’usage du feu pour se chauffer, il se met nu dans sa hutte de neige pour avoir plus chaud : la circulation du sang devient alors plus active que sous des vêtemens épais et lourds. Le Chaambi du Sahara, lui, ne dépense pas par mois le double en poids des alimens nécessaires à l’Esquimau pour un seul jour. Il peut parcourir le désert sous un soleil ardent, sans boire ni manger, pendant trois jours consécutifs : une nuit de repos et un peu de nourriture lui rendront ses forces. Les Touaregs font des voyages de six jours à jeun. Les Boschimans, dont nous parlions tout à l’heure, manquant de tout dans leur pays stérile, sont fréquemment réduits à l’état de maigreur d’un squelette : on voit leurs os sous leur peau plissée comme celle d’un cadavre. En revanche, ils ont une faculté d’engraissement extraordinaire : on en a vu, dit M. Zaborowski, passer en quatre jours de la maigreur la plus lugubre à l’embonpoint le plus florissant. N’ayant pas de chevaux, comme les Touaregs, ils ont si bien développé leurs jambes, qu’ils sautent à travers les roches mieux que l’antilope ; un cheval ne peut les suivre en montagne ; dans la plaine, ils suivent eux-mêmes fort bien un cheval au galop. Exposés souvent à périr de soif, ils savent découvrir la présence d’une eau souterraine à de très grandes distances : couchés contre terre, ils distinguent au loin les vapeurs imperceptibles qui, dans l’air sec du désert, s’élèvent au-dessus des sols imprégnés d’humidité. Seule, leur intelligence est restée stérile : ils en sont à l’instinct. Les nains des forêts équatoriales de