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De même que Broadway est, pour New-York, la grande artère où se répercutent les pulsations d’une vie commerciale intense, de même Tammany-Hall est l’axe autour duquel évolue la vie politique, le centre où aboutissent les nouvelles et d’où partent les mots d’ordre, où se formulent les programmes, où se nouent les coalitions et où se dénouent les alliances éphémères, où fonctionne un comité directeur permanent, exactement renseigné et militairement obéi. À la base : un comité général, composé de 5 000 membres désignés par les électeurs démocrates de chaque district proportionnellement au nombre de voix dont le parti dispose dans chacun d’eux. Ce comité général se subdivise en sous-comités d’organisation, de finances et autres. Au-dessus de ce comité et recruté parmi ses membres : le comité directeur, composé de 60 membres, deux pour chaque district électoral de New-York. Le comité général tient une séance par mois, et 500 membres constituent un quorum. Les séances du comité directeur ont lieu sur la convocation de son président, Richard Crocker.

Examinons comment fonctionne ce mécanisme. L’élection est proche ; le comité d’organisation fait son rapport au comité général ; il lui communique la liste des candidats, leurs titres, le degré de popularité dont ils jouissent et le plus ou moins de chances qu’ils ont de détacher des votes du parti adverse. Il lui soumet aussi la liste des postulans aux fonctions de « capitaines de district » et les considérations qui militent en leur faveur. Ces renseignemens, contrôlés, vérifiés et complétés par des comités locaux, sont transmis au comité directeur, présidé par le Boss, lequel décide sans appel, dresse la liste des candidats du parti et nomme les capitaines de district. Ceux-ci sont au nombre de 1100, autant qu’il y a de bureaux de vote ouverts, le jour de l’élection, dans la grande ville. Chacun d’eux est tenu pour responsable du nombre de bulletins démocrates qui figureront au scrutin. Le comité général sait combien le parti en a enregistré à la précédente élection ; il sait, à très peu de chose près, de combien il dispose ; à la suite d’un pointage minutieux il a chiffré les pertes qu’il a pu subir, les recrues qu’il a pu faire ; il arrête le chiffre probable dans chaque district. Si le résultat obtenu est inférieur aux prévisions du comité et si les explications fournies ne sont pas satisfaisantes, le capitaine de district est révoqué, sa place donnée à un autre et son avenir politique compromis ; au cas contraire, on prend bonne note de son zèle et de son activité. Le plus souvent, ce capitaine de district est un cabaretier du quartier, bien achalandé, bien vu des toughs, expert dans l’art de détourner de voter les électeurs hostiles, d’entraîner les hésitans, de stimuler les adhérens. Il est