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était prié de faciliter par tous les moyens possibles sa mission. Il avait retrouvé dans cette ville Ribera, son compatriote, qu’il avait connu vingt ans auparavant, lors de son premier voyage, et qui, toujours laborieux et fécond, avait agrandi son style sous l’influence du Dominiquin. Mais c’est à Rome surtout que Velazquez devait séjourner. Peintres et sculpteurs y affluaient à ce moment, et l’on rencontrait parmi eux des grands seigneurs, comme Pierre de Cortone, le Calabrese et Salvator Rosa, qui ne marchait jamais qu’entouré d’un cortège d’admirateurs ; des bohèmes, tels que le Guerchin et Michel-Ange Cerquozzi, renommé pour ses bouffonneries ; ou bien encore des solitaires épris du grand art et de la nature, ainsi que notre Claude et Poussin, dont le caractère était si bien fait pour plaire à Velazquez. Ce dernier s’était aussi lié avec l’Algarde et le Bernin, auxquels il fit plusieurs commandes pour le roi d’Espagne. À grand’peine il avait également réuni pour son maître des reproductions de plus de trente statues antiques, des bas-reliefs, des bustes d’empereurs romains et un moulage de la tête du Moïse de Michel-Ange. Enfin il parvint aussi, non sans difficulté, à engager au service de Philippe IV deux habiles décorateurs, Metelli et Colonna, après s’être assuré lui-même qu’ils possédaient les qualités requises pour l’office qu’on attendait d’eux.

On conçoit aisément que les visites d’ateliers et de collections, les démarches pour obtenir l’autorisation d’exécuter des moulages, les pourparlers avec les marchands ou les intermédiaires avec lesquels il fallait s’aboucher, entraînaient des pertes de temps considérables qui devaient sembler particulièrement fastidieuses à un homme aussi actif que Velazquez. Il allait bientôt se dédommager de tous ces ennuis en produisant un chef-d’œuvre. Bien qu’il n’aimât guère les peintres, le pape Innocent X s’était décidé à faire une exception en faveur de ce gentilhomme espagnol dont les manières l’avaient charmé, et il consentit à poser devant lui. Mais, afin de mieux profiter de cet honneur, l’artiste, qui n’avait probablement pas touché un pinceau depuis son départ d’Espagne, pensa avec raison qu’il fallait auparavant se refaire un peu la main. Il avait justement à sa disposition son serviteur et élève, Juan de Pareja, venu avec lui en Italie, et l’étude lestement enlevée qu’il peignit, d’après son visage basané, ombragé d’une abondante chevelure, noire et crépue, marque de son origine africaine, obtint un tel succès quand il l’exposa au Panthéon, que le titre de membre de l’Académie de Saint-Luc lui fut décerné par acclamation.

Ayant ainsi repris possession de ses moyens, Velazquez