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formerait une galerie à peu près complète des hommes marquans de l’Espagne à cette époque, et tous les Ages, tous les tempéramens, toutes les conditions y seraient représentés. Mais la difficulté de choisir parmi tant de chefs-d’œuvre nous oblige à nous restreindre. Nous nous contenterons donc de citer le charmant visage de ce jeune duc François d’Este (aujourd’hui à la galerie de Modène), fort choyé par Philippe IV pendant le temps qu’il fut son hôte et qui porte au revers d’un médaillon orné de diamans le portrait en miniature du roi ; l’amiral Adrien Pulido (collection du duc d’Arcos), une figure résolue, de large carrure et de solide charpente ; le comte de Benavente (musée du Prado), couvert d’une armure d’acier damasquinée d’or, une physionomie placide d’homme de guerre blanchi au service de la couronne ; à Milan, dans la collection du prince Pie de Savoie, un portrait identifié par M. Justi, celui du vieux marquis de Castel Rodrigo, qui fut vice-roi de Portugal. Puis c’est un homme d’Église, diplomate habile, ce cardinal Borgia dont nous trouvons au Staedel’s Institut de Francfort la tête étrange, anguleuse, aux joues caves, aux pommettes saillantes, aux petits yeux perçans renfoncés dans leurs orbites, vraie tête de politique implacable, peinte vers 1640, avec la sincérité absolue d’un Holbein. Viennent ensuite des lettrés comme Quevedo, l’ami de Velazquez, une bonne et honnête figure de poète, dont le fin regard se dissimule sous d’épaisses lunettes, ou bien des inconnus comme le Géographe du musée de Rouen et le vieillard de la galerie de Dresde, sans compter les portraits de personnages de la cour, ceux du ministre Olivarès, exécutés peu de temps avant sa chute (galerie de Dresde et musée de l’Ermitage) ; celui de Julianillo (Bridgewater-House), un fils naturel de don Guzman, dont les traits gracieux rappellent sans doute ceux de sa mère, doña Isabella, une beauté autrefois très réputée à Anvers ; enfin, à Dulwich-College, le portrait du roi lui-même peint en 1644 à Fraga par Velazquez qui accompagna son maître dans son expédition en Aragon[1]. Le royal modèle est représenté debout, à mi-jambes, dans un costume d’apparat, rouge clair brodé d’argent, d’un ton délicieux. Il tient d’une main son chapeau, de l’autre le bâton de commandement ; la moustache est fièrement retroussée, l’attitude résolue ; mais les traits semblent fatigués et les mains amaigries. « Vrai chef-d’œuvre de couleur et de distinction, clair et tendre comme le plus fin Metzu », dit Burger, qui a depuis longtemps signalé la valeur de cette peinture exquise.

  1. On a retrouvé, parmi les comptes de ce voyage, la note du charpentier qui fit percer une fenêtre et disposer un chevalet dans un atelier improvisé pour Velazquez.