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affadie défrayait le talent de Murillo, ne sont guère faits pour Velazquez. En regardant de plus près on le retrouve cependant avec la largeur de son dessin, avec son exécution ferme et souple, avec cette façon de draper ses figures qui laisse sentir leurs formes et leurs mouvemens sous les étoffes ajustées ou flottantes dont les plis sont répartis avec art, sans raideur comme sans mollesse. Les rouges et les bleus que nous avions déjà remarqués dans le Mars au repos sont caractéristiques pour cette époque, et c’est dans le jeu de ces rouges et de ces bleus avec le violet, qui en est comme la résultante, que l’artiste a cherché les élémens d’une harmonie nouvelle dont les colorations un peu trop vivement accusées diffèrent sensiblement de ses tonalités habituelles, plus discrètes d’ordinaire. Le type très espagnol de la Vierge ne manque pas de beauté et son geste charmant est plein d’une grâce pudique[1]. Quant aux têtes des chérubins voletant deux à deux dans un ciel gris semé de nuages blancs, Velazquez seul était capable de peindre avec cette ampleur et cette légèreté leurs mines éveillées, leurs joues vermeilles et rebondies, le blond emmêlement de leurs chevelures ébouriffées.


VII

Ce travail si aisé, si expéditif, si merveilleusement propre à rendre la fraîcheur et l’animation de jeunes visages, montre assez avec quelle supériorité l’élève de Pacheco aurait traité des portraits de femmes ou d’enfans. Mais les enfans qu’il lui fallait peindre n’avaient ni cette apparence de santé, ni ce naturel. Rejetons tardifs d’une race appauvrie, lymphatiques et pâlots, emprisonnés dans les gaines ridicules qui leur servaient de vêtemens, les infans ou les infantes d’Espagne n’offraient à Velazquez que des modèles peu faits pour exciter sa verve. Façonnés dès l’âge le plus tendre au train de la cour, capables de rester tranquilles pendant des heures entières, alors qu’ils assistaient aux cérémonies officielles, ils ne devaient laisser voir sur leurs traits aucune des impressions qu’ils pouvaient éprouver. Velazquez les a peints tels qu’ils étaient, avec l’air triste et ennuyé que peu à peu la vie à laquelle ils étaient condamnés donnait à leurs physionomies. Les portraits de femmes qu’il avait à faire n’étaient pas non plus bien attrayans. Sans même parler des types ingrats que lui

  1. Il faut bien reconnaître cependant que l’ombre portée sur la joue gauche de ce gracieux visage en altère un peu l’ovale et fait paraître cette joue trop étroite.