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chance d’en être éloignés, on leur rend à peu près les mêmes honneurs qu’aux autres, et l’on ne distingue guère entre Caracalla et Trajan.

En Afrique, comme partout, ces honneurs se résument dans le culte impérial. Aujourd’hui qu’on en connaît mieux la signification et les conséquences, on est moins tenté de s’en indigner ou d’en sourire. Ce qui en fit la longue fortune, c’est qu’il fut l’expression de deux sentimens qui semblaient inconciliables, et qui s’unirent en lui. C’est d’abord une explosion de reconnaissance pour cette autorité souveraine qui gouverne le monde, et sous les lois de laquelle on proteste qu’on est heureux de vivre. Et de plus, comme le culte de l’empereur est célébré au chef-lieu de la province, par ses délégués et à ses Irais, elle se reconnaît et se retrouve dans ces réunions, elle y reprend la conscience d’elle-même qu’elle avait perdue depuis que les Romains l’ont vaincue ; sous leur suzeraineté elle se sent revivre. C’est donc à la fois la fête de la grande patrie et de la petite, et dans ces cérémonies, où l’on célèbre l’unité romaine, il se produit peu à peu une sorte de réveil des nationalités distinctes.

Les détails du culte impérial variaient selon les pays. Tantôt il s’adressait surtout aux empereurs morts et déifiés (Divi), tantôt à l’empereur vivant (Augusto) ; les attributions des prêtres chargés de le célébrer et le nom qu’on leur donnait n’étaient pas toujours les mêmes. Ces différences suffisent pour nous convaincre qu’il n’a pas été institué tout d’une pièce et sur un ordre de Rome. L’initiative a dû venir des provinces et des villes mêmes, chacune d’elles imitant à sa manière la ville voisine et cherchant parfois à la surpasser. Mais ces variétés ne sont qu’à la surface : au fond l’esprit de l’institution est partout le même ; si bien qu’à un moment quelques empereurs eurent l’idée de faire de ce culte le centre de la résistance au christianisme, parce qu’il était le plus répandu de tous et celui dans lequel tous les peuples de l’Empire s’accordaient le mieux. Partout, ou presque partout, on le célébrait à la fois dans la capitale de la province, au nom de la province entière, et dans chaque ville. Il était donc provincial et municipal. Timgad, par exemple, pour ne parler que d’elle, prenait part tous les ans aux grandes fêtes de la Numidie ; c’est quelquefois parmi ses citoyens que les prêtres provinciaux étaient choisis, et elle en était très fière[1]. Mais elle avait aussi son culte

  1. On trouve mentionnés, sur l’album des décurions de Timgad, deux anciens prêtres (sacerdotales). Comme ils sont placés immédiatement après les protecteurs de la cité, et avant les autres magistrats, il faut bien que ce soient d’anciens prêtres de la province.