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partout la même : il était naturel qu’elle variât avec l’importance du municipe ; et de plus on soupçonne qu’elle changeait aussi avec la fortune du candidat. Il est dit, dans quelques inscriptions, qu’en certaines circonstances on augmentait la taxe (ampliata taxatione). À Timgad la première dignité de la cité, le duumvirat, s’est payée 4 000 sesterces (800 francs) ; mais en réalité la dépense était beaucoup plus forte. D’abord il ne semblait pas convenable de se contenter de la somme exigée par la loi : le beau mérite de ne donner que ce qu’il était impossible de refuser ! Le candidat promettait donc davantage, et, de peur qu’une fois nommé il n’oubliât sa promesse, on avait soin de l’inscrire sur les acta publica. Il arrivait même le plus souvent qu’il dépassait ce qu’il avait promis. Il tenait à contenter ses compatriotes, à leur témoigner sa reconnaissance, et même à mériter leur admiration. C’était entre les divers magistrats comme une émulation de libéralité, aucun ne voulant être moins généreux que ses devanciers ou que ses collègues. Les inscriptions nous montrent comment les plus modestes finissent par se piquer d’honneur et deviennent prodigues. Dans une petite ville de la Byzacène, dont nous ne savons même pas le nom, et qui n’a laissé d’elle d’autre souvenir que quelques ruines, la « somme honoraire » pour être décurion était de 1 000 sesterces (320 francs). Un candidat de bonne volonté promet de donner le double, puis il se charge de la dette de son frère, décurion comme lui, qui peut-être n’avait pas pu se libérer, et la double comme la sienne. Cet argent était destiné à réparer un temple ; mais les frais furent plus considérables qu’on ne pensait, et la petite-fille du décurion, qui acheva l’ouvrage commencé par son grand-père, eut à y ajouter 5 600 sesterces de son argent. C’était donc 12 000 sesterces (2 400 francs) qu’il en avait coûté à notre homme pour être conseiller municipal d’un hameau. Qu’on juge de ce qu’on devait dépenser dans les grandes villes, quand il ne s’agissait plus de réparer une chapelle, mais qu’on entreprenait de bâtir de grands édifices ! Sans compter que, le jour de la dédicace, il était de bon goût de donner des jeux scéniques, de faire combattre des gladiateurs, ou, tout au moins, de distribuer de l’argent aux magistrats et d’offrir un repas au peuple.

Ces prodigalités devaient avoir, avec le temps, des conséquences très fâcheuses ; elles devinrent pour les gens riches une cause de ruine et tirent des fonctions publiques une sorte d’épouvantail et de châtiment ; mais elles avaient produit d’abord des résultats fort heureux. On leur doit la plupart de ces magnifiques monumens dont les ruines nous étonnent. À Calama (Guelma), une grande dame, qu’on avait nommée prêtresse des empereurs, fait don à ses