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gagnera ou perdra telle province, si la Russie avancera ou n’avancera pas sur Constantinople, tandis que le sort même de la civilisation européenne dans le monde sera bientôt en question pour votre postérité. — Si, malgré ces hardies prédictions, personne ne peut encore rien affirmer de certain sur les destinées de notre race, chacun doit cependant, dès aujourd’hui, en avoir la préoccupation. Il est bon, surtout pour le philosophe, d’élever parfois ses regards au-dessus de l’heure qui passe et de les diriger vers les profondeurs de l’avenir : c’est souvent le meilleur moyen de jeter quelque clarté sur les questions mêmes du jour.


I

Dans le présent, et peut-être aussi dans le passé, tous les types de l’humanité semblent se réduire à trois : l’européo-sémite, l’asiatico-américain, et le nègre, — ou, plus simplement, à deux, le blanc (qui s’est différencié en faces plates et faces anguleuses) et le nègre. On peut concevoir que le nègre soit né le premier, puis ait donné naissance successivement à l’Australoïde aux cheveux frisés, à l’une des formes du brun aux cheveux droits ou ondes, et finalement à l’Européen blond. On peut concevoir que, sur des points différens du globe, des races humaines indépendantes aient pris peu à peu naissance parmi des animaux anthropoïdes préexistans. Mais il faut alors supposer, sur ces divers points, une coïncidence de résultats anatomiques et physiologiques qui n’est pas très vraisemblable. Les monogénistes ont eu gain de cause sur la fécondité entre les races humaines actuelles les plus distantes, qui peuvent toutes se croiser. Les polygénistes l’ont emporté sur l’impuissance des milieux à produire, par eux seuls, certains caractères propres aux races particulières. Ainsi les enfans des blancs qui ont bruni sous les tropiques naissent toujours blancs, et ils restent blancs s’ils ne s’exposent pas eux-mêmes à la lumière des tropiques. Mais c’est qu’il s’agit là d’une coloration brune acquise par les parens pendant leur vie sous l’action du milieu extérieur, non d’un caractère congénital. Il faut simplement conclure de ce fait que l’exposition des parens au soleil tropical brunit leur peau sans brunir les élémens germinaux qui donneront à la peau de leurs enfans la couleur héréditaire. Il n’en résulte pas qu’un enfant brun n’ait jamais pu naître de parens blancs, ni surtout qu’un enfant blanc n’ait jamais pu naître de parens bruns. C’est dans les germes que le jeu des élémens colorés a dû se produire, indépendamment de l’action directe du soleil ; il y a là une question