Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/824

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quel acte solennel, quel événement inouï dans l’histoire de l’Église romaine, que le fait du cardinal Gibbons, revêtu de la pourpre romaine, se levant au milieu de cette assemblée d’hérétiques, de schismatiques et de païens, et, après avoir fait le signe de la croix, prononçant le « Notre Père » en anglais ! Il y a eu pourtant quelque chose de plus touchant que cet acte initial, c’est le moment où, à la séance de clôture, le rabbin Hirsch a dit à son tour la même prière ; le successeur des scribes et des docteurs de la loi venant rendre son témoignage au crucifié de Golgotha !

Les hymnes, — ces prières qui s’élèvent au ciel sur les ailes de la mélodie et du rythme, — n’ont pas moins bien rendu cette harmonie des croyances. On en avait préparé pour l’usage du congrès un recueil si bien choisi que les adeptes de toutes les confessions chrétiennes ont pu les chanter d’un cœur et d’une âme. Les unes étaient imitées de ces vieux psaumes d’Israël, qui semblent doués d’une éternelle jeunesse ; d’autres étaient des cantiques de l’Église latine, par exemple le Te Deum laudamus, le Veni Creator ; enfin on y trouvait en grand nombre des hymnes composées par des poètes catholiques, unitaires ou quakers. Deux surtout devinrent les favorites de l’auditoire, le cantique d’Adams, qui commence par ces mots :

Nearer, my God, to thee

et l’admirable hymne du cardinal Newman :

Lead thou me on, o kindly Light !

Jamais la puissance de la musique pour la concorde ne s’est montrée d’une façon plus éclatante qu’à la dernière séance. Après que les délégués des nations païennes ou des églises étrangères eurent fait leurs adieux, le chœur d’Apollon entonna l’Alleluia tiré de l’oratorio le Messie de Haendel, avec un élan superbe. Le chef du chœur et les choristes étaient si pénétrés par le génie du grand maître et par le souffle des paroles bibliques :

Alléluia ! car le Seigneur Dieu règne avec toute-puissance !
Il régnera à jamais, le Roi des Rois, le Seigneur des Seigneurs.
Alleluia !

que l’effet produit sur l’auditoire fut indescriptible. Cette masse de 4 000 personnes fut comme soulevée par une force surnaturelle ; il nous sembla que toutes les barrières de race, de langue, de dogmes étaient renversées et que nous étions tous là comme les membres de la grande famille de Dieu ! L’enthousiasme était tel que des centaines de personnes se tenaient debout : les hommes acclamant, les femmes agitant leurs mouchoirs. Le calme ne se rétablit que lorsque le chœur se mit à chanter le Juge-moi,