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font, paraît-il, certains bouddhistes d’Europe, chanter victoire gagnée. Ces aveux n’ont eu trait qu’à des écarts entre les maximes et la conduite des chrétiens. On n’a sacrifié aucun des principes de la doctrine et de la morale. Et, en revanche, la plupart des représentans du polythéisme, en avouant les profondes modifications, les réformes radicales, qui se sont opérées ou s’opèrent en son sein, ont rendu un hommage, plus ou moins explicite, à la supériorité de la morale et même du monothéisme chrétien.

C’est surtout dans la croyance des peuples le plus anciennement civilisés que cette évolution est frappante. Ainsi Reuchi-Schibata, grand prêtre du Zhikko, — une des branches du shintoïsme, la religion nationale des Japonais, — nous a expliqué que cette réforme, datant du XVIe siècle, a pour objet d’insister sur la mise en pratique des préceptes et de concentrer sur un dieu suprême l’adoration, jusque-là dispersée sur les multiples kamis ou demi-dieux. Ce Dieu existe par lui-même et est seul éternel : c’est lui qui a créé toutes choses, et les autres dieux ne sont que des manifestations de sa puissance. « Les religions, a-t-il dit, ne diffèrent que par la forme extérieure, qui est déterminée par le tempérament du peuple ou le milieu physique où elle est née. Elles reposent toutes sur une vérité fondamentale. Comme il serait impraticable actuellement de les combiner en une seule, les croyans, du moins, devraient abjurer tous sentimens d’hostilité et unir leurs forces pour dégager cette vérité commune qui se cache sous les formes diverses. »

Les organes du bouddhisme ne nous ont pas moins surpris en nous apprenant qu’ils acceptaient le dieu suprême du brahmanisme Brahma, comme présidant à la période actuelle du monde. Ce dieu est tout amour, bonté, miséricorde, et veille sur tous avec une égale sollicitude. La morale bouddhiste admet aussi maintenant des sanctions de nos actes, dans la vie future et dans la vie éternelle, ce qui paraissait incompatible avec la notion primitive du nirvana.

Il s’est produit aussi, dans les religions des Parsîs et des Hindous, un mouvement parallèle tendant au monothéisme. C’est une opinion généralement admise que la religion de Zoroastre est dualiste : Ahoura-Mazda et Angrya-Mainyush produisent, par leur antagonisme, la lutte du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres. Il paraît que nous étions mal informés. Un Parsî de Bombay, Jinanji-Jamshedji-Modhi, nous a expliqué l’origine de cette erreur ; quelques écrivains sacrés s’étant servis, par emphase, du terme d’Ahoura-Mazda pour désigner Spenta-Mainyush, l’archange de la lumière, peu à peu ce dernier nom est tombé en désuétude et l’on a fini par identifier cet archange avec le Dieu suprême. La religion primitive des mages était monothéiste ; car Zoroastre a