Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/816

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils leur reprochèrent de manquer d’humilité, de désintéressement, de tolérance. « Vos missionnaires, s’écria le dernier, dans leur ardeur iconoclaste, attaquent quelques-uns de nos préjugés, qui ne sont pas nécessairement contraires au christianisme. Par exemple, on érige en article de foi pour un Hindou converti de se mêler à d’autres castes, on fait de l’usage de nourriture animale une condition pour l’admettre au baptême. Or, laissez-moi vous dire, par ma propre expérience, que ces choses soulèvent chez nous une répugnance physique. » Et le brahmane demanda ensuite ironiquement si les apôtres saint Pierre et saint Paul avaient eu les mêmes exigences ?

Les révérends R.-A. Hume, missionnaire aux Indes orientales, et Haworth, missionnaire au Japon, repoussèrent quelques-uns de ces reproches, mais ils avouèrent que beaucoup d’évangélistes étaient, en effet, fort ignorans des livres sacrés et des rites et usages de ces religions antiques ; et qu’au lieu de déblatérer contre le paganisme en bloc, on ferait mieux de reconnaître les élémens de vérité qu’il renferme. Le missionnaire G. Candlin (de Shanghaï) ajouta qu’il fallait changer radicalement la méthode d’évangélisation, substituer la preuve spirituelle, qui se trouve dans un sincère retour à la vie morale, au certificat d’orthodoxie, qui est souvent sans efficace sur la conduite. Et le révérend W. Alger, pasteur à Boston, termina le débat en ces termes : « Le véritable Antéchrist de notre temps, c’est le caractère et la conduite antichrétiens de la chrétienté ! Nous prêchons aux quatre coins du monde : « Cherchez le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît », et, en fait, nous rejetons à l’arrière-plan ce royaume et sa justice ; nous travaillons, comme autant de diables incarnés, pour l’intérêt personnel sous toutes ses formes. Voilà le grand obstacle à l’unification de la famille humaine. »

Je ne connais rien de plus noble, de plus honorable pour le caractère américain, que cet aveu loyal des défauts de la chrétienté, en présence même de ses adversaires. Que d’autres traitent cela de faiblesse, de naïveté, voire de blasphème contre la majesté de la « religion unique » ! Pour nous, ces craintes, ces doléances ne me touchent pas ; la vérité nous est plus chère que tous les beaux décors d’une dévotion de parade et, bien loin de nous inquiéter de ces aveux pour le sort du christianisme, nous pensons, au contraire, qu’une religion est bien forte qui affronte, sans sourciller, les batteries de l’ennemi et qui emprunte à leurs critiques mêmes les moyens de se perfectionner.

Qu’on n’aille pas, du reste, attacher trop d’importance à ces mea culpa des représentans du christianisme ; ni, comme le