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a sans doute guidé Alexandre Sévère quand il établissait dans son palais cette singulière chapelle, où Jésus-Christ avait une statue à côté d’Apollon et de Socrate ; peut-être a-t-elle hanté la grande âme de Marc-Aurèle. Mais c’est dans l’Inde du XVIe siècle qu’on en trouve la réalisation première, et, chose étrange, l’honneur de cette initiative pacifique revient à un descendant de ces conquérans mongols qui avaient dévasté l’Asie et fait trembler l’Europe, à l’empereur Akbar, arrière-neveu de Tamerlan.

Vers 1574, ce prince, que Renan a surnommé le Marc-Aurèle de l’Hindoustan, fit bâtir à Fathpour-Sikri, sa capitale, un édifice appelé l’Ibadat Khana, qui se composait de six grandes salles, où se réunissaient, tous les jeudis soir, les savans et croyans des sectes diverses, pour y discuter les questions religieuses. La salle Ouest était réservée aux Saïds, descendans du prophète ; la salle Sud était pour les ulémas ; la salle Nord, pour les cheiks et « les hommes de l’extase » sans doute les soulis ; la salle Est, pour les parias ; les deux autres salles pour les brahmanes et les chrétiens. L’Empereur visitait les salles tour à tour et prenait souvent sa part des entretiens qui se prolongeaient jusqu’au lendemain matin[1]. Mais à cette époque, dans l’Inde, les passions de race et de religion étaient encore trop vives ; un soir les ulémas, à bout d’argumens, montrèrent le poing à leurs adversaires soulis. Le tolérant grand Mogol dut adresser aux trop bouillans théologiens de sévères réprimandes. Les conférences de l’Ibadat khana se prolongèrent pourtant jusqu’après 1578 ; nous savons qu’en cette année deux missionnaires jésuites, venus de Goa, prirent part à une controverse avec les ulémas.

Les essais d’unification religieuse d’Akbar disparurent de l’Inde avec lui ; ils devaient être repris en Amérique, sous l’influence de l’étude comparée des religions. Vers 1860 parut à Boston une brochure intitulée : La Sympathie des religions. L’auteur, le colonel Thomas Wentworth Higginson, était un des héros de la guerre de sécession ; chargé de commander un des régimens de noirs, il y avait fait des prodiges de valeur. Après la guerre, il se mit à voyager dans les quatre parties du monde ; il observa les peuples et leurs usages, surtout leurs rites religieux et, revenu à Boston, il y fonda « l’Association religieuse libérale » qui est indépendante de toute secte. Dans sa brochure, le colonel Higginson, passant en revue les religions historiques, montrait les traits d’union qui les relient et exprimait cet avis que, sous toutes ces formes, diverses en apparence, il n’y a qu’une religion, dont

  1. Voir comte C.-A. De Noër : L’Empereur Abkar, un chapitre de l’Histoire de l’Inde au XVIe siècle, 2 vol. in-8o ; Leyde, chez Brill, 1885, Ier vol., p. 306-307.