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grandes à l’Église catholique. Bien plus ! l’empereur de l’hérétique Allemagne a choisi le pape pour arbitre dans son conflit avec S. M. Catholique au sujet des îles Carolines, et s’est incliné avec respect devant le verdict du Saint-Père. Il n’est pas jusqu’à la schismatique Russie qui, subissant l’attrait invincible d’un grand pape, digne héritier des Innocent III et des Eugène IV, n’ait fait des pas vers Rome, dans l’intérêt de ses sujets catholiques de Pologne, et c’est hier que le tsar accréditait M. Iswolsky comme ministre auprès du Saint-Siège.

La critique biblique et surtout les institutions de bienfaisance ont à leur tour contribué à cette œuvre d’apaisement des esprits. Les exégètes, renonçant à l’interprétation allégorique, ont cessé de se combattre à coups de textes des Saintes Écritures, comme faisaient les controversistes du XVIe et du XVIIe siècle ; les protestans, par exemple, ont renoncé à identifier la papauté avec la bête de l’Apocalypse, le pape avec l’Antéchrist, et à taxer le culte catholique d’idolâtrie. La croix, qui hier encore, dans le Midi de la France, était considérée par les huguenots comme un symbole de la tyrannie catholique, commence à reparaître au pinacle des temples protestans. L’institution des diaconesses protestantes a été fondée sur le modèle des « sœurs de charité » ; et les conférences de Saint-Vincent de Paul, organisées par Ozanam pour moraliser la jeunesse, ont suggéré aux protestans la création des « Unions chrétiennes de jeunes gens ».

Il n’est pas rare de voir des ecclésiastiques des deux confessions concourir aux mêmes œuvres. C’est ainsi que le révérend Chapman, recteur d’une des paroisses anglicanes de Londres, soutint jusqu’au bout, au moyen de collectes faites parmi ses ouailles, l’œuvre que le Père Damien, prêtre belge, avait entreprise chez les lépreux de l’île Molokaï (Sandwich). Et lorsque ce dernier eut succombé victime de son dévouement vraiment héroïque, après seize années de ministère, ce fut le pasteur qui prit l’initiative de fonder la Société du Père Damien pour l’étude et le traitement de la lèpre (1889). Qui ne sait encore l’accueil enthousiaste que le cardinal Lavigerie trouva en Angleterre quand, il y a cinq ans, il alla y plaider la cause de la croisade anti-esclavagiste ? « Vous savez le vœu que je forme, — s’écria-t-il devant un auditoire composé mi-partie de catholiques et de protestans, — ce vœu, c’est de voir les haines qui séparent les chrétiens s’affaiblir et cesser, en présence des attaques toujours plus nombreuses de l’athéisme (1889). »

Les catholiques, de leur côté, deviennent plus tolérans pour ceux qu’ils traitaient naguère d’hérétiques, ils ne craignent plus de s’associer à eux pour des œuvres morales et philanthropiques.