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cette conspiration féminine. Si Kaunitz avait obtenu autre chose de Mme de Pompadour que la permission d’entrer avec elle dans un échange de coquetteries aimables qui lui permettait de discrètes insinuations ; si Mme de Pompadour avait répondu à ces avances autrement que par quelques sourires gracieux, bien naturels chez une personne de petite condition recevant les hommages d’un grand seigneur : assurément l’ambassadeur n’aurait pas manqué d’informer de ce succès sa souveraine et de s’en faire un mérite auprès d’elle. C’est au contraire lui qui l’avertit à plusieurs reprises que, malgré les politesses et même les caresses dont il est comblé, il ne peut se vanter d’avoir fait un pas vers une entente sérieuse, et que rien ne lui permet d’espérer que l’ancien système soit encore ébranlé. Si Louis XV paraît pour sa personne flatté des bonnes paroles de Marie-Thérèse, « c’est affaire d’amitié et non d’alliance, et le roi de Prusse est toujours le maître de la politique… C’est déjà beaucoup, dit-il, d’être parvenu à partager l’attention de la France et à l’engager à ne plus envisager désormais comme le principal objet de ses soucis, celui de nous pincer et de nous susciter des embarras à propos de tout. Je vous démontrerai un jour au doigt et à l’œil les raisons pour lesquelles nous n’avons pas pu faire certains progrès à cette cour. Je suis trop heureux d’avoir fait en sorte qu’on ne nous hait pas[1]. »

Parmi les motifs auxquels il pouvait imputer le succès imparfait de ses efforts, il devait assurément compter au premier rang le caractère du roi et cette timidité, étrange chez un souverain, qui empêchait Louis XV, non seulement d’imposer, mais même de faire connaître ouvertement sa volonté à ses ministres. Nul doute que Louis, au fond de l’âme et dans son for intérieur, ne fût inquiet et mécontent de la politique toute dévouée à la Prusse qu’on lui faisait suivre, et Kaunitz était trop perspicace pour ne pas s’être aperçu de ce malaise dont l’origine remontait aux faits de la dernière guerre.

Ce n’est donc pas assez (pensait évidemment Louis XV) de l’avoir rendu presque ridicule en lui faisant signer une paix dont les résultats insignifians ont prêté à rire à tous les juges compétens, et que de tristes détails d’exécution ont fini par rendre humiliante. Depuis lors on le traîne à la suite d’un prince qui n’est son égal ni par l’ancienneté ni par l’éclat de la race, qui était hier son protégé, qui

  1. Kaunitz à Koch, 22 août 1751, 12 février 1752 (Archives de Vienne). — D’après M. d’Arneth, il y a eu même un moment, pendant le cours de cette ambassade, où Kaunitz semble perdre tout à fait courage. Il propose à l’impératrice de renoncer à se concilier la France, mais il l’avertit qu’alors il faudra se rapprocher tout à fait de la Prusse et renoncer à lui disputer la Silésie. J’ai peine à croire que ce remède héroïque ait été proposé sérieusement à l’impératrice, qui ne paraît pas non plus l’avoir pris au sérieux (D’Arneth, t. V, p. 331-333).