Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/756

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand un bel esprit veut donner l’exemple d’un grand homme et d’un grand roi, on va d’abord à trois cents lieues de Versailles : il est bien vrai qu’on n’épargne pas ici l’encens, mais ce sont les sujets qui l’offrent : les étrangers n’en offrent guère… Je suis persuadé que Votre Majesté leur fera toujours faire dans le besoin tout ce qu’Elle voudra et qu’ils se conformeront à ses lumières, sans autre secours, ni aide, que celui de l’esprit de Votre Majesté. Après tout, je ne perdrai pas de vue les occasions qui pourraient se présenter pour rendre la marquise plus favorable à Votre Majesté, et si j’entrevois quelque moyen, j’aurai l’honneur d’en rendre compte à Votre Majesté. »

Il faut croire qu’il ne s’en présenta pas, au moins tant que dura la mission fort courte de Mylord Maréchal. Quant à son successeur, le chevalier de Knyphausen, c’était un lourd personnage à qui Frédéric reproche lui-même à plusieurs reprises de ne savoir et de ne lui mander, en fait de nouvelles, que celles qui courent les halles de Paris. Aussi, renonçant à plaire, on ne lui voit à partir de ce moment que chercher à s’enquérir des sentimens de la marquise sans prétendre à se la rendre favorable. Un point cependant le préoccupe, et il en recommande la vérification à plusieurs reprises à ses agens. Serait-il vrai que l’Angleterre a gagné la favorite à ses intérêts, on lui offrant un placement avantageux des fonds qu’elle tient de la libéralité du roi ? Si l’enquête ordonnée au sujet de ce soupçon injurieux vint aux oreilles de Mme de Pompadour, on conçoit qu’elle en ait été vivement émue, n’ayant aucune bassesse de ce genre à se reprocher ; et personne, on le sait, n’est plus sensible aux reproches calomnieux que ceux qui donnent sur d’autres points plus de prise à de justes blâmes. Il y avait là, pour la maîtresse offensée, un sujet d’irritation plus légitime que celui qu’elle put trouver dans des plaisanteries de mauvais goût qui lui furent, dit-on, rapportées et dont, ne fût-ce que par convenance d’État, un roi aurait bien fait de s’abstenir[1].

Kaunitz restait donc le maître incontesté du terrain, et personne ne lui disputait les bonnes grâces de Mme de Pompadour. Aussi n’est-il pas surprenant que, lorsque peu d’années après l’alliance autrichienne devint une réalité qui éclata à l’improviste, l’opinion se soit accréditée que le plan en avait été ébauché dans ces confidences entre l’ambassadeur et la favorite, et qu’on ne l’avait tenu secret que pour ne pas l’exposer avant l’heure aux indiscrétions et aux contradictions d’un débat ministériel. Mais c’est ici que l’impitoyable rigueur des textes vient détruire les fantaisies de la légende, et les romanciers doivent faire leur deuil de

  1. Pol. Corr., t. VIII, p. 313 ; t. IX, pp. 275, 297, 420, 452 ; t. X, pp. 175, 445, 476.