Mais Chambrier étant venu à mourir, Frédéric, pensant probablement que son successeur serait homme à s’y mieux prendre, se montra tout de suite beaucoup moins froid sur la pensée de faire agir en sa faveur la grande influence féminine. « Comme je m’aperçois, écrit-il, que c’est la maîtresse qui fait la pluie et le beau temps, je serais bien aise que vous m’informiez s’il n’y a pas moyen de la gagner pour moi et quels seraient les moyens d’y parvenir. »
Seulement ce nouvel envoyé lui-même se trouva, par d’autres raisons, presque aussi impropre que son prédécesseur à ce rôle insinuant et discret qu’on voulait lui faire remplir. Il était, à la vérité, assez singulièrement choisi. C’était un seigneur écossais qui, banni de son pays comme jacobite, avait, par un accident extraordinaire, trouvé asile à Berlin ; son nom propre était lord Keith, mais on l’appelait généralement Mylord Maréchal d’Ecosse, parce qu’il gardait le titre de la fonction à laquelle, sous ses rois légitimes, sa naissance lui aurait donné droit. On prétendait assez généralement que le neveu du roi George n’avait désigné cet étranger comme son représentant à Paris que pour contrarier son oncle et répondre aux taquineries mesquines dont il était l’objet de la part de son maussade parent. Mylord Maréchal était un homme de mœurs aimables, d’un esprit doux et éclairé, toutes qualités dont il fit preuve lorsque, appelé au gouvernement de Neuchâtel, il accueillit et protégea Jean-Jacques Rousseau persécuté. Ce souvenir a fait à son nom une place honorable dans l’histoire des lettres. Mais son âge était déjà avancé, son tempérament maladif, et il n’avait accepté qu’à regret une fonction active dont il ne devait pas tarder à se démettre. Il ne se sentit pas d’humeur à rivaliser avec Kaunitz dans les soins empressés qu’il aurait fallu rendre à une beauté comblée d’hommages et ayant le droit d’être difficile sur leur nature ; et ce fut lui qui à son tour découragea son souverain de recourir, pour servir ses intérêts, à un genre d’auxiliaire dont son génie n’avait pas besoin. « Toutes les petites attentions, lui dit-il, ou même les petits présens flatteraient la vanité de la marquise surtout de la part de Votre Majesté, quoiqu’elle y soit si accoutumée qu’elle ne le sent non plus qu’un parfumeur sent les bonnes odeurs dans sa boutique ; mais on ne la gagnerait pas par là. Elle est très intéressée, cependant elle n’oserait pas recevoir une somme de Votre Majesté et elle courrait trop risque de se montrer partiale en votre faveur. De plus, Sire, à supposer que vous lui donniez une grosse somme, ce serait en pure perte : elle aurait toujours bien des échappatoires honnêtes de ne rien faire que ce qu’elle voudrait bien d’elle-même et ce qu’on lui conseillerait… Il se pourrait aussi qu’il y entrât de la jalousie envers Votre Majesté.