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aux principaux courtisans qui sont de ses amis et de la coterie du roi. Je sais que ce prince y a été sensible, et que plusieurs de ces messieurs sont de mes amis : on m’a même fait entendre, mais que cela reste entre nous, je vous prie, que, s’il était possible de mettre un ambassadeur de la coterie du roi, j’en serais, mais cela ne se peut pas. Bref, je ne sais pas comment cela s’est fait, mais il est vrai que le roi et Mme de Pompadour et ceux qui l’environnent ont beaucoup de bonté pour moi. Tout cela ne fait rien assurément au fond des affaires, mais ces sortes d’affections personnelles ne gâtent rien cependant et peuvent être de grande conséquence dans les occasions. »

Vient enfin une offre de parrainage (l’occasion en revenait souvent) que l’impératrice s’est enfin décidée à faire à Louis XV, sans plus songer cette fois au dépit que peut en avoir le roi d’Angleterre. « Le roi, dit Kaunitz, a été très sensible à cette marque d’amitié de Leurs Majestés Impériales ; j’ose dire même qu’il est entré de la tendresse dans la façon dont il l’a témoigné, à moi d’abord, et ensuite à ses courtisans par lesquels tout cela m’est revenu. J’ai eu occasion de causer aussi fort longtemps dans la même matinée avec Mme la marquise de Pompadour, et je lui ai dit beaucoup de choses que je suis bien aise qu’elle redise au roi. Elle m’a assuré que le roi, non seulement aimait actuellement l’impératrice, mais que même au milieu de la guerre, il avait toujours eu pour elle beaucoup d’amitié et la plus haute estime. Elle est convenue aussi avec moi que, si le roi et Sa Majesté l’impératrice pouvaient se connaître, se voir et se parler, il régnerait entre eux à jamais la confiance la plus intime et la plus parfaite[1]. »

Les rapports familiers de l’envoyé autrichien avec la maîtresse du roi devaient être d’autant plus remarqués que les représentans du roi de Prusse, s’ils tentaient de s’insinuer auprès de Louis XV par la même voie, étaient bien loin d’obtenir le même succès, faute ou d’adresse de leur part, ou de direction donnée par leur maître. Il ne faut ici pourtant rien exagérer : il n’est nullement vrai que Frédéric, comme on l’a beaucoup dit, et comme il s’en est vanté lui-même, se soit refusé de parti pris à ménager la triste et scandaleuse influence qui ne régnait que trop ouvertement sur l’esprit de Louis XV. C’eût été porter dans sa politique un

  1. Kaunitz a Koch, 7 novembre, 11 décembre 1750 ; 22 août 1751 ; 12 février, 23 juin 1752 : Archives de Vienne. — Un fait très singulier est à remarquer dans ces correspondances intimes, que je tiens de la bienveillance de M. d’Arneth. Kaunitz s’exprime à plusieurs reprises comme s’il connaissait le compte que l’ambassadeur d’Hautefort rendait au ministre français de ses entretiens avec l’empereur, et même les réponses du ministre français. Il faut croire que la cour de Vienne avait une police épistolaire si bien faite qu’elle se procurait la copie de toutes les correspondances ministérielles de France. — J’aurai, dans la suite de ce récit, à signaler un fait de la même nature plus significatif encore.