à son grand couvert, de s’entretenir avec moi tout seul et d’une façon si suivie que je n’ai pas pu trouver le moyen de m’en aller de tout le repas qui a été fort long. Quant à M. de Puisieulx, j’ai rencontré en lui ce que je comptais y trouver, une belle âme, beaucoup de-noblesse, de douceur et de vérité dans le caractère. Je tâche de me mettre sur un pied de cordialité avec lui. Mon projet est de traiter les affaires vis-à-vis de lui, sur ce pied ; je ne puis pas vous répondre si je réussirai. J’ai été avec lui à la grande chasse de Saint-Hubert, à cheval et en voiture. Mille propos différens à cette occasion ont avancé notre connaissance. Ce n’était pas le moment de parler, d’affaires, et d’ailleurs j’ai été bien aise de différer et de me borner à sonder le gué. Mon intention était d’abord, en venant ici, à Fontainebleau, de n’y rester que cinq ou six jours et de m’en retourner à Paris pour mettre ordre à mes affaires domestiques, mais comme je fais ma cour au roi en restant, je compte demeurer ici jusqu’à son départ. Je ne puis que me louer ici, en général, des politesses de tout le monde, et il est fort heureux que j’aie débuté. La cour y est assemblée et j’ai eu, au moyen de cela, l’avantage de faire en peu de jours plus de connaissances que je n’en aurais fait en six mois à Versailles… Je suis déjà, dit-il quelques mois après, avec M. de Puisieulx sur un assez bon pied de cordialité et de franchise, mais comme il me croit plus habile que je ne suis, et que d’ailleurs il s’aperçoit que je ne suis pas homme à me laisser payer de paroles, il ne laisse pas d’être un peu embarrassé vis-à-vis de moi, entre le désir de ne point manquer à ce ton de cordialité, et la crainte que je ne l’entraîne au-delà de ce qu’il peut et doit aller. J’espère cependant que je le mettrai successivement toujours plus à l’aise, et j’aurai toujours grand soin de tenir un juste milieu et de ne rien précipiter. Le reste dépend du temps et des événemens. Je me rappelle souvent le dicton de Philippe II, qu’il faut aspirer au parfait, mais savoir en même temps se contenter du bon… Sa Majesté l’empereur s’est conduit divinement vis-à-vis de M. de Hautefort : j’en suis comblé, parce que je m’aperçois déjà que l’on commence ici à revenir de l’idée de sa haine personnelle contre le roi, et que, comme on ne peut pas prévoir tous les événemens de ce monde, il n’y a rien de plus dangereux selon nous que les préventions que les grands princes ont ou croient avoir les uns contre les autres… Nous perdons M. de Puisieulx (dit-il quand la retraite de ce ministre paraît décidée). Je suis très fâché de ce changement, je traitais des affaires avec lui d’une façon fort agréable et j’avais fait quelques progrès dans sa confiance, c’est à recommencer avec le nouveau ministre : on ne peut pas savoir à quel point nous nous conviendrons, au moins est-il certain que
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