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qu’elle est inquiète et qu’elle brûle d’impatience que la guerre recommence[1]. »


II

C’est dans cet état de division des esprits, au milieu de ces rumeurs qui se croisent et de ces propos qui s’échangent, où les noms de Frédéric et de Marie-Thérèse sont sans cesse mêlés et leurs mérites mis en balance, qu’arrive à Versailles l’envoyé que Blondel présente comme le confident et le favori de l’impératrice, celui qu’elle a chargé de substituer une nouvelle amitié à de vieilles haines et de faire la conquête de la cour de France. Kaunitz a été précédé à Paris par tout le bien qu’ont dit de son habileté et de la sûreté de son commerce Maurice de Saxe, qui l’a connu à Bruxelles, et les commissaires qui ont vécu avec lui à Aix-la-Chapelle. Tout lui promet un accueil favorable, et la première impression que produit sa présence répond à l’attente générale.

Frédéric a fait en deux traits le portrait de ce célèbre personnage, dont la carrière a été pendant tant d’années mêlée à la sienne : — « Il était, dit-il, aussi frivole dans ses goûts que profond dans les affaires. » Mais il aurait dû ajouter que, pour ce que l’envoyé de Marie-Thérèse avait à faire à Versailles ce jour-là, la frivolité pouvait lui servir presque autant que la profondeur. On sait, en effet, les mauvaises plaisanteries qu’on faisait volontiers en France, et surtout à la cour, sur la raideur et la lourdeur germaniques. Ce ne fut donc pas sans surprise qu’on vit, dans le nouvel ambassadeur impérial, un Allemand à qui personne en France n’avait rien à apprendre ni pour la grâce exquise des manières, ni pour la recherche et même le raffinement de l’élégance. Rien ne manquait à Kaunitz sous ce rapport, pas même ces avantages extérieurs auxquels aucune éducation ne supplée. Une taille élevée et un port plein d’aisance et de noblesse, des traits réguliers, un regard animé et fin, et, bien qu’il fût déjà dans sa quarantième année, toute la vivacité de la jeunesse : c’était là un ensemble d’agrémens qui prévenait tout de suite en sa faveur. On ne pouvait lui reprocher que de trop laisser voir qu’il en avait lui-même le sentiment et de chercher à en accroître l’effet par une affectation de toilette, seule faute de goût qui trahît son origine étrangère. — « M. de Kaunitz, dit d’Argenson, se rend ridicule par son amour pour sa figure, qu’il prétend encore plus belle qu’elle n’est ; il lui faut quatre miroirs pour s’habiller ; sa perruque n’est pas frisée, mais en lacets d’amour[2]. » Ce léger travers,

  1. Chambrier à Frédéric, 20 janvier 1749 ; 8 janvier 1750, 2 janvier, 4 février 1751 et passim (Ministère des Affaires étrangères).
  2. Journal de d’Argenson, 5 décembre 1750.