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tenus par elle-même habituellement à l’écart des affaires. Aussi, n’ayant pas le temps de se mettre en frais d’invention, ou ne se souciant pas d’en prendre la peine, ils trouvèrent plus simple de déclarer, d’une voix à peu près unanime, qu’en fait de système ils n’en connaissaient qu’un seul, l’ancien, celui qui consistait à tenir la France pour une ennemie irréconciliable et à lui faire face avec l’appui des puissances maritimes et au besoin de la Russie, alliées naturelles de l’Autriche dont un intérêt commun garantissait la fidélité.

Le mémoire qui se prononça le plus nettement pour cette stricte observation des traditions passées portait la signature de l’empereur lui-même, répondant à son rang et à son tour comme membre de la conférence à l’interrogation officielle de son épouse. Gardons-nous d’oublier, disait, sur un ton d’amère récrimination, l’ancien vassal du roi de France (toujours surpris de se trouver son égal, et heureux de pouvoir le braver), combien de fois nous avons été trompés par cette cour dont les caresses sont encore plus dangereuses que les armes. L’Angleterre et la Hollande, voilà les vraies amies : on ne saurait trop les ménager, et il faut se prêter de bonne grâce à tout ce que peut exiger d’elles la forme particulière de leur gouvernement. — Ces paroles renfermaient-elles sous une forme adoucie un regret et même un reproche indirects ? François avait été plus d’une fois le témoin muet des audiences orageuses où des agens anglais étaient venus s’acquitter auprès de l’impératrice de commissions ingrates : avait-il trouvé sans le dire que l’accueil qui leur était réservé manquait de douceur et d’aménité ?

Quoi qu’il en soit, le concert était complet en faveur de l’immobilité et de la routine. Une seule note s’éleva en désaccord : ce fut le plus jeune des conseillers qui la fit entendre. Le comte de Kaunitz, à peine de retour d’Aix-la-Chapelle, était admis pour la première fois aux honneurs de la conférence. Le mémoire qu’il fit remettre à l’impératrice formait un volume d’une étendue presque double de celle des cinq autres réunis. C’était un traité doctrinal rédigé dans le style verbeux de la chancellerie aulique. M. d’Arneth a su en dégager un résumé substantiel plein de sens et de perspicacité politiques.

Toutes les puissances d’Europe passées en revue sont rangées en deux catégories, les alliées et les ennemies de l’Autriche. Trois figurent en tête de la première : l’Angleterre, la Hollande et la Russie. Deux seulement auraient mérité naguère encore d’être placées au premier rang de la seconde : la France et la Porte. Une troisième s’est élevée, plus dangereuse et plus