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d’épigrammes, puis de tirades démocratiques, enfin d’imprécations populaires suivant jusqu’au pied de l’échafaud la princesse infortunée dont le seul crime fut, étant née fille d’Autriche, d’être montée sur le trône de France.

Je suis, je crois, le premier qui ait osé, et encore avec quelque timidité, émettre le soupçon que ce jugement était peut-être précipité et tirer, même des maigres documens que nous possédions alors, des conclusions un peu différentes du sentiment général. Je n’ai pas, assurément, la prétention que ce soit à ces doutes, modestement exprimés, et à cet appel fait à un supplément d’instruction que, des deux côtés du Rhin, à la fois, on se soit empressé de répondre. Toujours est-il que des deux parts, de France et d’Allemagne, une abondance de lumières nous est arrivée qui ne laisse aujourd’hui plus rien à désirer. De notre ministère des Affaires étrangères, bien que maintenant devenu très hospitalier, nous ne pouvions guère rien attendre, la négociation qui précéda le traité ayant été suivie à huis clos, en dehors des voies régulières, et n’ayant laissé à peu près aucune trace dans les archives. Mais, dans le silence des pièces officielles, un témoignage plus important s’est fait entendre : c’est celui du premier confident de cette transaction secrète. Les souvenirs de Bernis, laissés dans l’ombre pendant plus d’un siècle par un scrupule exagéré de ses héritiers, ont enfin vu le jour et ont été livrés au public, suivis de curieux complémens que M. F. Masson a recueillis avec le soin intelligent qui caractérise tous ses travaux. Puis M. d’Arneth, pour mener à fin sa belle histoire de Marie-Thérèse, a puisé avec une libéralité discrète dans le trésor des archives impériales confié à sa direction, et, grâce à cette facilité confiante qui est propre aux talens sûrs d’eux-mêmes, il permet qu’on glane encore après lui quelques épis sur le champ où il a passé. Enfin, les éditeurs de la correspondance politique de Frédéric II nous ont livré sur la conduite et les sentimens de leur souverain, — à ce moment critique de sa vie et en face d’une alliance qu’il jugea tout de suite comme une menace à son adresse, — tous les renseignemens qui étaient en leur possession, et ils ont fait en cela preuve d’une générosité d’autant plus louable qu’elle permet de prendre en faute sur plus d’un point la véracité du royal historien. L’obscurité n’existe donc plus nulle part et tous les points de l’horizon sont éclaircis. Une seule chose reste à faire : c’est de rassembler et de comparer ces documens encore épars pour acquérir, de l’ensemble de l’événement lui-même, une complète connaissance. Il reste aussi à distinguer, dans la part que fut appelée à y prendre chacune des puissances intéressées, ce qu’il faut attribuer soit à la nécessité de leur