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manquer de lui faire une place. J’exprimai alors le regret de ne trouver, sur un fait d’une telle importance qui fut suivi de conséquences si graves, que des renseignemens très incomplets, la plupart appuyés sur des anecdotes suspectes. Comment se fait-il, disais-je, que nous en soyons encore aux commérages rapportés par le littérateur Duclos et aux récits intéressés du grand Frédéric, deux documens, pour des raisons diverses, aussi peu dignes de foi l’un que l’autre ? Il en est, pouvais-je ajouter, de la politique des gouvernemens comme de la conduite privée des particuliers : quand on ne nous donne aucun motif d’une résolution qui surprend, nous supposons naturellement que c’est qu’il n’y en a eu ni de sérieux ni d’avouables. Un accusé qui se tait prononce sa propre condamnation. C’était bien le cas de Louis XV et de ses ministres, qui furent vivement attaqués pour leur nouveau système, d’abord par beaucoup de leurs propres agens (restés fidèles à l’ancienne tradition), puis par une nuée d’écrivains à la dévotion et à la solde du roi de Prusse et qui n’ont jamais répondu par un mot d’éclaircissement à l’adresse d’un public quelconque. Dès lors il était généralement admis que le traité de 1736 et l’alliance autrichienne étaient la faute capitale de ce triste règne et l’origine des malheurs qui en ont assombri la fin. C’est beaucoup si on n’y voyait pas même une cause suffisante pour expliquer la chute de la royauté. Une légende tout aussi accréditée imputait le tort principal à Mme de Pompadour, séduite, disait-on, par les caresses de Vienne et blessée par les sarcasmes de Berlin. Il demeurait entendu que l’affaire avait été entamée directement par une lettre de Marie-Thérèse à la maîtresse de Louis XV où elle assurait sa chère amie de son estime et de son amitié. C’étaient les termes consacrés et répétés avec tant d’ensemble par tous les narrateurs, qu’on eût dit vraiment que l’autographe en avait été vu quelque part. Puis tout avait été réglé en quelques heures, dans une maison de plaisance qui portait le nom singulièrement expressif de Babiole, par une entrevue secrète avec l’ambassadeur d’Autriche, où n’avait été admis en tiers qu’un prélat bel esprit, auteur de poésies galantes et médiocres, qui ne pouvait pardonner au roi de Prusse de s’être moqué de ses vers. Il n’en avait pas fallu davantage pour faire oublier au petit-fils d’Henri IV et de Louis XIV toutes les leçons politiques de ses illustres aïeux, et lancer notre patrie dans une sanglante et désastreuse aventure. Rien de plus triste pour l’histoire de l’ancienne France, mais rien de mieux fait pour fournir matière soit à des contes grivois, soit à des déclamations révolutionnaires. De là, sur la fatale influence des faiblesses royales et des intrigues de cour, un concert d’abord