Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/724

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus considérable : débarqués à Tchemulpo, ils ont marché sur Séoul, et, sous prétexte de le défendre, ils l’ont occupé. L’insurrection a disparu comme par enchantement : les Chinois et les Japonais sont restés en tête à tête, et quand on a parlé à ces derniers d’évacuer, ils ont déclaré nettement qu’ils ne le feraient qu’après avoir obtenu des réformes profondes dans l’administration de la Corée. Ils étaient las de demander des satisfactions qu’on leur accordait en principe sans les réaliser jamais, des indemnités qu’on ne leur payait pas, des jugemens qu’on ne pouvait pas faire exécuter. Leur commerce était sans cesse en péril. Le droit de pêche, qu’une convention leur accorde sur les côtes de la Corée, ne pouvait s’exercer que d’une manière incomplète, parce qu’ils rencontraient des difficultés pour faire sécher le poisson sur le rivage. Enfin, ils avaient à faire valoir mille griefs anciens et nouveaux, et ils ne consentaient à partir qu’après en avoir obtenu le règlement. Quant aux réformes indispensables pour assurer l’avenir, le programme qu’en a tracé le Japon n’est pas très bien connu ; mais elles se rapportent toutes à la nécessité de fortifier le gouvernement central et d’assurer l’exécution de ses décrets, au paiement régulier des fonctionnaires qui perdraient peut-être ainsi l’habitude de voler, à l’établissement d’une justice dont les sentences ne seraient plus illusoires, etc. Le Japon demande enfin qu’il soit institué à Séoul un fonctionnaire supérieur chargé des affaires étrangères, car on ne sait aujourd’hui à qui s’adresser, et il n’y a pas de milieu entre le roi auprès duquel il est difficile d’obtenir audience, ou un employé subalterne, sans importance et sans {responsabilité, qui sert d’intermédiaire avec le Tsong li yamen.

C’est la première fois que le Japon montre autant d’exigences, ou qu’il les énonce avec cette fermeté. Sa politique a toujours consisté à développer la civilisation en Corée, même par la force si cela était nécessaire ; la politique de la Chine, au contraire, est toute de temporisation et d’inertie. On comprend que la Chine, suzeraine de la Corée, s’émeuve de l’initiative impérieuse du Japon ; mais celui-ci ne veut pas céder, il multiplie ses armemens, il refuse d’écouter les conseils des puissances et il a déjà tiré les premiers coups de canon. Ce qui augmente la gravité de la situation, c’est que le Japon, qui se croit fort vis-à-vis de la Chine, qui a une flotte bien commandée et une armée de terre qu’il lui est facile d’élever en temps de guerre à près de 200 000 hommes, est profondément troublé à l’intérieur. L’opinion publique y a atteint depuis quelque temps un degré d’exaltation qui cause au gouvernement du comte Ito les plus sérieux embarras. L’opinion n’existe pas en Chine, le gouvernement y fait ce qu’il veut, sans avoir de compte à rendre à personne : il n’en est pas de même au Japon. Le Japon s’est donné un parlement, il jouit de la liberté de la presse, il prend très au sérieux ces institutions européennes qu’il a im-