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pendance du pays. Son attitude et son action ont été plus habiles que celles de la Chine. Dès le XVIe siècle, à la suite d’une expédition heureuse, les Japonais étaient restés maîtres du port de Fousan, où ils ont établi une colonie militaire et commerciale : c’est par là que, pendant de longues années, la Corée et le Japon ont échangé leurs produits. En 1875, à la suite d’un conflit sans importance, les Japonais ont fait un arrangement nouveau qui témoigne d’un véritable esprit pratique : ils ont rendu le port de Fousan à la Corée, mais à la condition qu’il resterait ouvert et qu’on leur en ouvrirait deux autres, ceux de Wousan et de Tchemulpo. À partir de ce moment leur commerce a pris des développemens rapides ; un nombre considérable de maisons se sont fondées dans les villes ouvertes, et les échanges entre les deux pays sont devenus très actifs. En 1882, l’ancien régent coréen ayant fomenté une révolte contre les Japonais, leur légation à Séoul a été incendiée, et son personnel, réfugié à Tchemulpo, a été recueilli par un navire anglais. Le Japon, indigné, a envoyé une flotte dans les eaux coréennes ; la Chine a dépêché un commissaire impérial ; la Corée a fait toutes les soumissions qu’on exigeait d’elle et promis une indemnité de 2 500 000 francs qu’elle n’a d’ailleurs jamais payée. Enfin, en 1884, nouvelles complications, plus graves encore, et qui ressemblent beaucoup à celles d’aujourd’hui. À la suite de l’échauffourée de 1875, le gouvernement japonais avait mis sa légation à Séoul sous la protection d’une garde militaire. Le roi, menacé par l’émeute et ne trouvant aucun appui auprès de ses soldats, a fait appel à ceux du Japon. Naturellement la Chine s’en est émue, et, de son côté, elle a envoyé des troupes pour protéger le roi de Corée. Les protecteurs n’ont pas tardé à en venir aux mains, et les Chinois l’ont emporté. Aussitôt le Japon a expédié en Corée de nouveaux renforts, la Chine a imité cet exemple, et on a été à deux doigts de la guerre : si elle n’a pas éclaté, c’est aux bons conseils et même à la pression venus du dehors qu’il convient de l’attribuer. Le mikado a envoyé à Tien-tsin le même comte Ito qui est actuellement son premier ministre à Tokio, et celui-ci a signé avec Li Hong Tchang un arrangement qui a terminé le conflit. Il a été convenu que les troupes chinoises et japonaises évacueraient la Corée en quatre mois. Les deux gouvernemens ont donné au roi le conseil amical d’organiser une armée qui rendrait désormais leur intervention inutile. Néanmoins, comme il faut tout prévoir, ils ont prévu le cas où ils seraient obligés d’intervenir de nouveau, et ils ont pris l’un vis-à-vis de l’autre l’engagement de se prévenir par écrit si cette obligation se présentait, en y joignant d’ailleurs l’assurance d’évacuer le pays aussitôt que les circonstances le permettraient.

Ces détails rétrospectifs ne sont pas inutiles pour faire bien comprendre la situation présente. Dès qu’ils ont connu l’intervention des Chinois, les Japonais ont envoyé des troupes en nombre beaucoup