qu’ils aient eu un but anarchiste. — Mais qu’est-ce exactement qu’un but anarchiste ? Qui pourra le dire ? Qui en apportera une définition rigoureusement exacte ? La jurisprudence, sans doute : plaignons les juges qui seront chargés de la fixer. Ici encore on se trouve engagé dans un dédale d’anomalies au moins singulières. Un malheureux commettra un vol qualifié, un incendie, un crime quelconque qui le conduira devant la cour d’assises. Un autre, partisan de l’anarchie, dans une conversation ou dans une correspondance privée, après s’être plus ou moins exalté avec des amis, commettra l’imprudence d’approuver l’acte coupable, et de dire par exemple qu’une organisation sociale aussi révoltante que la nôtre provoque et justifie de pareils excès : ce dernier sera envoyé au juge correctionnel. Quel est, des deux, le plus criminel ? Quel est le plus dangereux ? Le premier évidemment : cependant, en beaucoup de cas, c’est le second qui, devant une juridiction plus rigoureuse, risquera de subir la peine la plus grave, puisqu’elle pourra comprendre la relégation. Est-ce juste ? Est-ce sensé ? N’aurait-il pas mieux valu, pour déterminer la juridiction, s’en tenir à l’acte lui-même ? Tel paraissait être le sentiment du gouvernement au cours de la discussion générale. Il avait alors beau jeu à soutenir que la liberté de penser, de parler et d’écrire n’était pas intéressée dans la loi, puisqu’il ne s’agissait que de l’interdiction de voler, d’incendier, d’assassiner. Le vol, l’incendie, le meurtre ne sont pas des opinions, mais des crimes : qui pourrait le contester ? Seulement il reste à savoir, dans le système final de la loi, si ces crimes ont été commis avec un but particulier, et ce point déterminera la juridiction. On aperçoit tout de suite que nous sortons du domaine des actes qui se définissent par eux-mêmes, pour entrer dans celui des intentions que l’on peut apprécier de tant de manières différentes ! Et dès lors, il devient plus malaisé de justifier la substitution des tribunaux correctionnels au jury.
Toutes ces contradictions, et quelques autres encore, se produisaient au grand jour à mesure que la discussion se prolongeait, et le sort de la loi aurait été très incertain, si l’opposition socialiste et radicale avait montré un peu moins de fougue et un peu plus d’habileté. Le parti pris d’obstruction qu’elle a manifesté dès le premier jour a tout de suite indisposé la Chambre. Avant même que la discussion fût ouverte, les socialistes avaient pris leurs dispositions pour la faire durer indéfiniment. Ils espéraient que la majorité s’égrènerait à force de lassitude, et que, la saison aidant, bon nombre de députés ne résisteraient pas jusqu’au bout aux tentations que le repos des champs exerce en ce moment sur tout le monde. Aussi faisaient-ils courir le bruit qu’ils avaient signé plus de soixante demandes de scrutins publics à la tribune, et déposaient-ils chaque matin une trentaine d’amendemens ou d’articles additionnels. Mais ils n’ont pas tardé à s’apercevoir que