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même du zèle, mais que les victimes de la mévente des vins ont obtenu jusqu’ici plus de promesses et de bonnes paroles qu’une aide effective. Il aurait fallu pouvoir s’en prendre au consommateur et lui faire payer le remède à appliquer aux souffrances de la viticulture. Mais justement le consommateur se dérobe. Ce n’est pas qu’il cesse de boire du vin, mais il boit aussi de la bière, et du cidre, et une décoction de raisins secs ayant une lointaine analogie avec le vin. La consommation de ce dernier produit a d’ailleurs déjà considérablement décru, et mourrait de sa belle mort si la commission des douanes ne cherchait à la tuer par des droits prohibitifs. La récolte de vins de 1893 a été exceptionnellement belle : 30 millions d’hectolitres contre 29 en 1892 ; et la production des cidres n’a pas été moins superbe : 32 millions d’hectolitres, soit 8 millions de plus qu’en 1885, la plus forte année de cidres depuis le commencement du siècle.

Pouvait-on exiger du consommateur qu’il bût en 1893 le double de ce qu’il avait bu en 1892 ? Cela était malaisé. Du moins pouvait-on essayer d’arranger les choses de telle sorte qu’il fût peu à peu amené à boire des vins naturels. De là une guerre sans merci, déclarée aux vins de raisins secs, aux vins mouillés, vinés, sucrés, à toutes les fabrications, à toutes les falsifications.

Les raisins secs étaient bien innocens ; ils procuraient une boisson peu coûteuse, modestement hygiénique ; on n’en consommait plus guère, on n’en consommera plus. Les vins mouillés ont trouvé des défenseurs ; car il y a des mouilleurs de bonne foi, de franc jeu, qui déclarent à leur clientèle : Voilà un mélange d’eau et de vin, c’est tant ; voilà du vin, c’est tant. Les choses seraient bien ainsi, si ce vin était vraiment du vin, mais écoutons le rapporteur de la loi contre le mouillage : « Dans presque toutes les grandes villes, on livre à la consommation populaire un liquide qui a l’aspect du vin, mais dont la base est un vin suralcoolisé à l’excès, mélangé avec de l’eau dans des proportions variables. Cette boisson ne présente aucun des caractères hygiéniques du vin véritable. L’effet nuisible des alcools impurs s’ajoute aux inconvéniens de l’eau trop souvent chargée de germes malfaisans. La santé publique est menacée. L’ouvrier, qui croit boire un verre de vin, consomme à son insu un petit verre de mauvais alcool. Un grand nombre de consommateurs s’habituent chaque jour davantage à la boisson frelatée. L’alcoolisme exerce ses ravages par une voie détournée… »

On a prétendu que le mouillage, qui suppose le vinage ou suralcoolisation, ne méritait pas de tels anathèmes, et que si le commerce « créait » des vins pour le consommateur, en cuisinant