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quelques-uns des discours prononcés en février sur les propositions de la commission des douanes. Voici une déclaration faite le 12 février : « Il est établi aujourd’hui et généralement reconnu par tous ceux qui s’occupent quelque peu d’agriculture, que le cultivateur français ne peut pas produire le blé à un prix de revient inférieur à 24 ou 25 francs le quintal. » D’un autre orateur, le même jour : « La réalité, vous la connaissez tous : c’est que, actuellement, le cultivateur français perd 3 ou 4 francs et même peut-être plus dans certaines contrées, sur chaque quintal de blé qu’il vend, et que, par conséquent, si cet état de choses se perpétue, il amènera nécessairement et à bref délai l’abandon de la culture du froment en France. » Et encore : « Prenons la situation [actuelle. Le prix du blé est, maintenant, de 20 francs ou 20 fr. 50 le quintal. S’il est vrai que le prix de revient est de 25 francs, avec le droit actuel de 5 francs le cultivateur perd 5 francs. » Ce prix de revient de 25 francs par quintal n’était pas un prix indiqué en l’air, au cours du débat, pour les besoins d’une thèse : c’est celui qu’indiquait le marquis de Roys, dans son rapport de 1886, comme un minimum pour un assolement triennal. M. Deschanel, M. Bernard-Lavergne donnaient ce même prix, qui était également celui de la plupart des agriculteurs membres de la commission des douanes.

Malgré tant de témoignages, émanant tous, il est vrai, d’agriculteurs ou d’avocats de l’agriculture, il y a certainement place au doute. Comment une industrie aussi colossale se poursuivrait-elle sans diminution apparente d’activité, si vraiment elle ne pouvait s’exercer, malgré l’aide si puissante du gouvernement et des lois douanières, que dans des conditions à ce point désastreuses ? Que nos agriculteurs songent au sort de leurs confrères d’outre-Manche, et ils estimeront enviable leur propre situation, si difficile qu’elle reste par certains côtés. Nous risquerons-nous à la suite de ceux qui conseillent aux agriculteurs de perfectionner leurs procédés, de renoncer à la routine, de faire de la culture intensive, scientifique, chimique, de couvrir leurs champs d’engrais puissans, nitrates, phosphates, hyperphosphates, de labourer, herser, semer, moissonner avec de puissantes machines ? Mais des gens qui prétendent perdre cinq francs par quintal, pensent, non sans raison, que ce n’est pas de conseils qu’ils ont besoin, mais de subventions gouvernementales sous la forme de droits de douane. Ils ajoutent, comme le faisait en février un de leurs amis au Palais-Bourbon, que, pour faire de la culture intensive, il faut des fumures intensives, et que, pour obtenir des fumures intensives, il faut avoir de l’argent intensif.