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la Russie, on ne peut dire que la situation actuelle soit le résultat du régime économique. »

Il est évident que l’état misérable de l’agriculture en Angleterre est dû à des causes multiples et complexes, et non au seul libre-échange ; il est dû surtout au prix de plus en plus bas qu’obtient le blé sur les marchés du monde depuis que les pays exotiques en produisent plus que ne peut faire l’Europe. Jamais peut-être, il faut bien le dire, le prix du froment n’a été aussi avili qu’en ce moment. L’Angleterre, qui en a importé en mai dernier 4 266 000 hectolitres, contre 3 546 000 en mai 1892 et 3 millions en 1891, l’a payé 9 fr. 67 l’hectolitre, contre 12 fr. 30 il y a un an et 15 fr. 05 il y a deux ans. Ces prix correspondent à ceux de 12 fr. 90, 16 fr. 40 et 20 fr. 20 par 100 kilogrammes, Or le prix courant et officiel était, au 1er juin, par quintal métrique, 14 fr. 50 à 15 francs à Londres, 12 francs à Amsterdam, 11 francs à Chicago. En mai le quintal de blé tendre, à Bourgas (Roumélie), a valu 9 fr. 10, le blé dur 8 francs, le seigle 6 fr. 70, l’orge 5 fr. 35. Dans les pays où le blé est frappé de droits de douane les prix étaient à peu près égaux à la moyenne de ceux de Londres et d’Amsterdam, augmentés du droit, 19 francs à 19,50 à Paris, 17 francs à 17,50 à Berlin.

Cette situation a-t-elle quelque chance de se modifier d’ici peu de temps ? Les protectionnistes, en faisant voter par le Parlement un droit de 7 francs à l’importation du froment, n’auront-ils réussi qu’à maintenir la valeur du blé à 5 francs au-dessous du prix où la culture en peut seulement être rémunératrice, si l’on en croit les déclarations faites solennellement il y a plusieurs mois au Parlement ? Rien ne semble annoncer un revirement prochain dans les causes d’avilissement. Les avis sur les récoltes en France sont satisfaisans, et pour toutes les céréales en générait Les pluies de juin ont fait concevoir quelques craintes que l’événement a déjà démenties. Dans les pays étrangers les apparences sont magnifiques : tout annonce que les États-Unis et la Russie inonderont encore l’Europe de leurs récoltes en 1894. Quant à la République Argentine, où la production du blé atteint déjà 28 millions d’hectolitres, — grâce à une prime sur l’or de 270 pour 100 qui offre à l’exportation un profit artificiel et temporaire, mais enfin un profit, — elle devra vendre sa récolte à peine moissonnée pour faire face à ses obligations, et la seule perspective de cette pression sur le marché a fait baisser le prix à Londres de 2 fr. 15 par hectolitre depuis le 1er janvier.

Il faut ajouter que si les récoltes s’annoncent partout si belles, le blé non encore vendu reste surabondant ; les stocks sont loin